La récente partielle de Jean-Talon a été cruciale. Tout le monde s’est épanché sur le fait que le Parti québécois (PQ) a triomphé, que la Coalition avenir Québec (CAQ), même si elle trône sur un Québec majoritairement bleu poudre, est pour la première fois confrontée à une grogne générale.

Insatisfaction qui s’est exprimée par le truchement des chics électeurs de Sillery et de Sainte-Foy. Le lundi 2 octobre est la date où le mécontentement face au gouvernement old school et paternaliste de François Legault a officiellement commencé à trouver un exutoire.

Tellement, d’ailleurs, que samedi matin sur Facebook, le PM y est allé d’une publication de gars blessé, qui exprime son ressenti, contrit qu’on puisse croire qu’il mente. Curieuse confession de la part d’un chef d’État, candide et calculateur à la fois, qui veut à tout prix nous convaincre qu’entre lui et nous, qu’entre la CAQ et le Québec, c’est organique et fusionnel.

Car, et c’est là que ça devient intéressant, depuis quelques années, et particulièrement depuis le début du deuxième mandat, avec 89 députés sur 125, la CAQ, c’est nous, c’est le Québec ! Bien que ce dernier soit multiple et fracturé, un consensus unique tient toutes les parties ensemble. Une apparente paix y règne, léthargique et bon enfant, ponctuée de festivals. La CAQ nous ressemble dans nos élans mollassons, notre indécision, notre esprit consensuel. Nous avons une manière bien à nous, très tempérée, d’envisager l’avenir. Nous neutralisons l’adversité et en faisons une potion tiède et digeste.

Comprendre la CAQ, c’est NOUS comprendre, saisir le Québec actuel dans toute sa complexité.

La Coalition est un parti énigmatique. Sans crédo fort ni posture idéologique ; il est traversé par les contraires, fédéralistes, nationalistes, affairistes, opportunistes, dévoués, qui tous communient au même beige. Comme si, sans projet commun, il importait de tous se fédérer, se ressembler, et continuer à prétendre, sans revendiquer, que nous sommes un peuple différent.

C’est avec tambours, trompettes et enthousiasme que le gouvernement a annoncé le projet le plus structurant, le legs de la CAQ au Québec : une usine de batteries électriques. Pas un chantier pour devenir la société la plus éduquée, la plus égalitaire, la plus à l’avant-garde sur la question climatique, ou pour devenir le paradis des enfants et des aînés.

Non. La batterie sera notre épiphanie, notre caractéristique la plus désirable. McMasterville produira de la fierté nationale. Peu importe si 7 milliards iront à une entreprise étrangère, que la technologie soit à risque et que les usines puissent être obsolètes rapidement, que le projet n’est pas le plus vert ni le plus durable. Nous avons eu, par le passé, des gouvernements de poètes, de journalistes, de médecins, d’avocats.

Ce coup-ci, c’est un gouvernement d’hommes d’affaires. La somme de leurs petites affaires s’impose comme LA vision nationale. Nous nous contentons de peu, mais c’est paisible.

Pourtant, fort de son vaste bassin d’électeurs et de députés, le gouvernement Legault avait semé beaucoup d’espoirs. Mais sa capacité à changer d’idée, à enterrer ses promesses dans la quasi totale indifférence, commence à éroder son capital d’affection, même chez les électeurs les plus tolérants. La liste des promesses bafouées est longue et commence à ressembler à l’énumération de pièces à conviction.

Il y a le troisième lien, ressorti de nulle part la semaine dernière, ultime guidounerie. La promesse d’un médecin de famille pour tous, la diminution du nombre d’écoles vétustes, la construction de 11 700 unités de logement social, la baisse du nombre de familles en attente d’une place subventionnée en garderie, la fin des nominations partisanes, la déclaration de revenus unique, la négociation avec les médecins spécialistes dans le but de récupérer 1 milliard, la bonification des soins à domicile pour les aînés, 90 minutes d’attente aux urgences, la réforme électorale, le remboursement des trop-perçus d’Hydro-Québec.

La liste n’est pas exhaustive, mais ces idées annoncées, puis oubliées, qui traînent ou qui sont tout simplement désavouées s’accumulent.

Les tromperies sont décomplexées. Ce qui est ici battu en brèche, ce sont les contours d’un Québec plus enviable.

Jusqu’ici, ça passait. Le Québec est accommodant. Il néglige son histoire, ses réalisations, minimise sa résilience. Et pourtant, il fonctionne. Tout croche, avec des inégalités et des cônes orange, mais il va. Le gouvernement a donc beau jeu de mentir, d’être populiste, de tester ses décisions par sondage, de gérer mollement : nous sommes assez bons. En tout cas, jusqu’au 2 octobre.

Le bleu tiède qui recouvre le Québec est trompeur. Des insatisfactions grondent depuis quelque temps. Des fractures béantes, des enjeux polarisants ébranlent nos fondations. Pas très loin sous la calme surface caquiste, le Québec bouge. Politiquement, socialement, économiquement, sur le plan des valeurs, des générations.

Il y a un monde qui, tant du point de vue des solutions d’avenir possibles que du côté de la colère, n’est pas celui de la CAQ. Si on tend l’oreille, sous la ouate épaisse, on entend un bruit. C’est celui des plaques tectoniques qui recommencent à bouger. Jean-Talon aura été le sismographe…

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