À l’hiver 2022, le gouvernement Legault a décidé de tout chambouler en matière de logement social et abordable.

En remplaçant AccèsLogis par son nouveau Programme d’habitation abordable du Québec (PHAQ), la Coalition avenir Québec jurait avoir trouvé la solution pour mettre en chantier des projets de logement social et abordable en moins de 12 mois.

Ce mois-ci, ça fait un an que le PHAQ est officiellement en fonction. Combien des 41 projets financés il y a un an sont en chantier ? Trente ? Moins. Vingt ? Moins. Dix ? Moins.

Un projet.

Vous avez bien lu : un seul projet sur 41. Un projet de 40 logements à Fermont, dans le nord de la Côte-Nord.

Les 40 autres projets (1683 unités, soit 98 % des unités attribuées) attendent d’avoir leur financement, leurs plans d’architecte, leurs entrepreneurs ou l’approbation de la municipalité.

Quand elle avait annoncé la fin officielle d’AccèsLogis à notre collègue Maxime Bergeron en mars 2023, la ministre de l’Habitation France-Élaine Duranceau avait expliqué que l’un des grands avantages du PHAQ était son délai de 12 mois pour commencer la construction. « Si ton projet ne sort pas en dedans de 12 mois, on retire les unités, puis on les donne à quelqu’un d’autre qui, lui, est prêt à sortir », avait dit la ministre Duranceau⁠1. Si en 12 mois « tu n’es pas parti, on passe à un autre appel », a-t-elle répété en mai à l’Assemblée nationale.

Devant de tels résultats, Québec a sagement décidé de retarder le délai à 18 mois pour la première année. Aucun projet ne perdra son financement. Heureusement.

Sauf qu’un projet réalisé dans les temps sur 41, ce n’est vraiment pas beaucoup. On a donc voulu comprendre ce qui s’est passé en parlant à la ministre de l’Habitation du Québec, France-Élaine Duranceau.

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France-Élaine Duranceau, ministre de l’Habitation

« Les gens ont déposé les projets assez en catastrophe, ils ont eu très peu de temps, les projets étaient très embryonnaires, le financement a été attaché six mois plus tard, rien pour aider. Le programme était tout jeune, il restait des choses à attacher, ça n’a pas été aussi vite que ça pourrait aller dans la deuxième année, dit la ministre Duranceau. Dans les prochaines semaines, on va avoir une meilleure visibilité sur les projets qui vont sortir entre 12 et 18 mois. On va être plus agile [pour la deuxième année], on a fait beaucoup de modifications pour répondre aux critiques. »

« On savait que ça allait être serré [12 mois]. On garde un délai qui peut paraître ambitieux, pour avoir le sentiment d’urgence », poursuit la ministre Duranceau, qui croit que le PHAQ est « une version améliorée d’AccèsLogis ».

Le FRAPRU, un organisme pour le droit au logement, voit la situation d’un autre œil. « On a lancé un programme qui n’était visiblement pas prêt pour donner une couleur caquiste au programme d’aide au logement, et on est en train de l’ajuster alors qu’on vit une sérieuse crise du logement, dit sa porte-parole Véronique Laflamme. Ce sont les mal-logés qui en font les frais. »

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Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPPRU

Ça fait des années que le Québec prend du retard en matière de logement social et abordable. AccèsLogis a été bloqué pendant plusieurs années parce que Québec a cessé d’indexer les subventions à partir de 2009. Cette décision a créé 15 000 projets sous-financés et bloqués dans un brouillard administratif en 2018. Cinq ans plus tard, 6617 des 15 700 unités ont été construites, et on tente toujours de bâtir les unités restantes.

Mais auparavant, AccèsLogis fonctionnait très bien : on a construit en moyenne 1800 logements par an entre 2005 et 2012. À titre de comparaison, on a construit 1619 logements au total depuis 12 mois avec les programmes de Québec (ce sont toutes des unités d’AccèsLogis)2.

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Le plus gros problème du PHAQ, ce n’est pas que le délai de 12 mois pour commencer la mise en chantier n’est pas respecté.

Même dans les meilleures années d’AccèsLogis, à la fin des années 2000, il fallait de 12 à 18 mois pour qu’un projet financé soit mis en chantier. Le délai de 12 mois est visiblement irréaliste.

Le problème, c’est l’attitude générale du gouvernement Legault, en particulier sa préférence pour le secteur privé.

En mettant les projets en concurrence lors d’un seul appel d’offres par an, le PHAQ favorise le privé. La subvention du privé a été rehaussée pour rejoindre celle des organismes sans but lucratif et coops d’habitation. Dans le dernier budget, la CAQ a réservé 500 des 1500 unités de logement social pour le privé.

Ce virage vers le privé se fera au détriment des coops d’habitation, des groupes communautaires et des groupes de ressources techniques, des organismes sans but lucratif qui s’occupent traditionnellement du logement social.

Le PHAQ permet même une aberration incroyable : un logement lourdement financé par les fonds publics pourrait perdre sa vocation sociale après 10 à 35 ans. Le propriétaire privé pourrait le revendre à profit s’il le souhaite. Ça n’a pas de bon sens. Si les contribuables paient pour construire du logement social, ça doit rester du logement social.

Même si le programme a été conçu pour attirer le privé, celui-ci n’a pas l’air très intéressé : seulement 5 des 41 projets choisis en septembre 2022 provenaient du privé.

Ce n’est pas étonnant. Il n’y a pas d’argent à faire à gérer des logements sociaux.

Avec la hausse des taux d’intérêt, la participation du privé pourrait encore diminuer. On aura les résultats du deuxième appel d’offres cet automne. « On a fait des modifications au programme pour qu’il puisse être plus intéressant pour le privé, mais il faut comprendre qu’avec la hausse des taux d’intérêt, c’est plus difficile d’embarquer tout le monde », convient la ministre Duranceau.

Le gouvernement Legault ne s’en cache pas : il veut des programmes de logement social plus agiles.

C’est ainsi que Québec a fait appel à Desjardins, au Fonds de solidarité FTQ et à Fondaction à l’été 2022 pour construire 1000 unités d’ici 2025. « La plupart des premières pelletées de terre se feront cet automne ou au début de l’hiver », dit la ministre Duranceau.

Québec prévoit faire de nouvelles annonces en logement social cet automne. « Je travaille à développer d’autres bons outils, plus agiles, plus flexibles, pour aider à débloquer des projets, dit la ministre Duranceau. Chaque projet est un peu unique, ça prend des outils financiers souples, et le PHAQ est très encadré. »

C’est une excellente idée de vouloir être plus agile.

Mais s’il cherche une solution simple et facile à implanter, le gouvernement Legault devrait faciliter la vie au maximum aux groupes communautaires pour qu’ils démarrent des projets.

Le principal problème : les montages financiers sont compliqués parce que Québec ne paie pas une portion assez importante du coût de construction d’un logement social. La subvention provinciale ne couvre que de 30 à 38 % des coûts réels de construction, alors que ça devait être 45 % dans le PHAQ et que l’objectif d’AccèsLogis au départ était de 50 %.

En haussant la subvention de Québec à 50 % des coûts réels, on simplifierait les montages financiers. Les organismes n’auraient plus besoin de frapper à plusieurs portes (p. ex. : fédéral, fondations privées) pour boucler leur montage. Ça réduirait les délais.

On arriverait sans doute à de meilleurs résultats de cette façon plutôt qu’en courtisant le privé qui n’a pas l’air très intéressé.

1. Lisez la chronique « Des “centaines de millions” gelés à Québec »

2. Du 31 juillet 2022 au 31 juillet 2023.

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