Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’humoriste Mariana Mazza.

Je me suis toujours rongé les ongles jusqu’au sang. Par anxiété, par habitude. Ma mère me répétait sans cesse que c’était laid et que ça ne faisait pas féminin. Je me promettais tous les jours d’arrêter. Demain, ce sera ma dernière session de rongeage. OK non, demain. OK, c’est certain que c’est demain. Et finalement, je n’ai jamais arrêté. Jusqu’au jour où j’ai commencé à avoir honte en me regardant à la télévision. Beaux cheveux, beau maquillage, beaux vêtements, mains de marde. Du jour au lendemain, j’ai arrêté. Comme si j’avais vécu un choc post-traumatique. Je ne voulais plus avoir des doigts déformés.

Et c’est à ce moment que j’ai commencé à fréquenter les instituts de beauté. Autrement dit, j’ai commencé à aller voir les madames asiatiques qui font les ongles. C’est de même qu’on les appelle. Les madames asiatiques qui parlent semi-anglais, semi-français et qui, entre elles, parlent dans leur langue. Comme on ne comprend rien, on a toujours l’impression qu’elles parlent dans notre dos et qu’elles se moquent de nos mains dégueulasses. Moi, ces madames-là, je les aime.

Elles ont une mission : faire nos ongles le plus vite possible pour que vite on se trouve belle et que vite elles puissent faire une autre cliente. C’est une usine à saucisses de la manucure. Elles sont toujours pressées, elles ont toujours l’air fâchées et elles ont une obsession pour la couleur qu’on va choisir pour nos ongles. Tu n’as pas le temps de t’asseoir qu’il faut choisir la couleur que tu vas mettre sur tes doigts. « Which color ? » Bien je ne sais pas. Attends un peu. Je veux prendre mon temps, me détendre, relaxer. Mais ce n’est pas un spa, leur job, c’est de faire le plus de clientes possible parce que c’est de même qu’elles ont été formées. Moi, j’aime ça de même.

J’aime quand les choses vont vite. Je n’aime pas jaser pis créer une connexion. Je déteste me faire des facials pis me faire masser parce que je finis toujours par me sentir mal de ne pas maintenir la conversation. Le silence, des fois, ça fait du bien. Et c’est ce que je vais chercher chez les madames qui font mes ongles.

Me faire faire les ongles, c’est mon activité en solo avec moi-même. C’est une petite heure où je peux ne rien faire d’autre que fixer la machine qui enlève mon vieux vernis, sentir les produits chimiques qui me donnent le tournis et suivre comme une automate les ordres de la madame.

Le plus beau moment est quand elles te proposent de faire une pédicure. Tu t’installes sur un gros fauteuil en cuir qui aurait pu appartenir à ton grand-père dans les années 1950 et, sans crier gare, la madame appuie sur la manette collée sur l’accoudoir et ça commence à vibrer comme si tu venais de pogner la voie d’accotement sur l’autoroute. Tu ne sais jamais si tu aimes ça ou non, mais tu finis par t’habituer à la violence que ce banal siège peut faire subir à ton dos et à ton cou. C’est mieux que n’importe quel massage que tu vas avoir payé 200 $ pour une heure. Pendant une heure, tu as l’impression que quelqu’un te casse le bas de la colonne vertébrale pendant que la madame, avec une concentration spectaculaire, te met du vernis sans que ça dépasse d’un seul millimètre. Ça me fascine. On dirait que même pendant un tremblement de terre, elle serait capable de faire une job impeccable pendant que toi, même concentrée dans le milieu le plus calme et stable, tu n’es pas capable de te faire une couche de vernis sans avoir l’impression que tu as le parkinson.

Moi, je les admire, les madames asiatiques qui font les ongles. Elles travaillent du matin au soir dans un lieu où elles peuvent interagir entre elles, en toute confidentialité parce que personne ne les comprend. Elles ne sont jamais en retard au rendez-vous qu’elles ont fixé avec leurs clients. Elles exécutent le travail de façon chirurgicale sans perdre de temps. Chaque seconde est utilisée pour parfaire la tâche demandée. Moi, les madames qui font les ongles, je les admire et je les aime. Pis même si jamais je ne les comprendrai, je rêve qu’un jour, secrètement, quelqu’un invente une oreillette avec un traducteur en direct qui me traduit les interactions qu’elles ont entre elles. Je suis convaincue qu’un autre monde s’ouvrirait à nous. Avoue que toi aussi, tu t’es déjà dit ça !

Qui est Mariana Mazza ?

  • Née à Montréal-Nord en 1990, Mariana Mazza est humoriste, actrice et auteure. En humour, elle a notamment remporté l’Olivier de l’année en 2017 et 2022.
  • Régulièrement invitée à la télévision (La tour, Bonsoir bonsoir, LOL : qui rira le dernier ?), elle a aussi joué dans des séries comme L’aréna.
  • Au grand écran, on l’a notamment vue dans Ligne de fuite.
  • Elle a publié en 2022 le roman Montréal-Nord, qui s’inspire de l’enfance de celle qui est née d’une mère libanaise et d’un père uruguayen.
  • Elle poursuit actuellement la tournée de son deuxième spectacle solo, Impolie – Pardonne-moi si je t’aime.