Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Dany Turcotte.

Je suis né à Jonquière, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Je suis ce que l’on pourrait appeler un Nordique. L’hiver est dans mon ADN tout autant que les lettres A, D et N sont incrustées dans mon prénom. Patiner, glisser, pêcher sous la glace, faire du ski-doo, déneiger et aimer avoir le vent froid dans la face font partie de mes activités d’hiver depuis toujours.

Mes tout premiers souvenirs sont glacés. En première année de l’école primaire, j’avais hérité du prestigieux rôle de tenir la porte aux autres après la récréation. Déjà naturellement curieux, j’ai osé coller ma langue sur la poignée de métal. Il faisait -20 °C… Une dévouée enseignante a dû aller chercher un verre d’eau chaude pour briser l’alliance entre la porte et ma langue, une première date marquante avec l’hiver.

J’ai aussi ce souvenir de très grand froid qui me hante encore, une journée à -40 dans la bergerie de mon frère Michel au Saguenay. Les 100 moutons s’époumonent à bêler pour manger, chaque balle de laine à quatre pattes produit une intense vapeur. Du côté des humains, nos respirations tombent instantanément en flocons à la sortie de nos bouches.

Ce jour-là, j’ai dû déglacer ma portière d’auto avec une machine à popcorn comme source de chaleur. Le vrai hiver de force !

Avec le réchauffement du climat, nos saisons froides sont de plus en plus chaudes et courtes, les précipitations de moins en moins glacées et fréquentes. Se dirige-t-on vers la disparition de nos hivers ?

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Pêche hivernale sur le Saguenay

Ces légendaires histoires de froid sibérien vont fondre comme crème molle au soleil. Elles finiront probablement par n’être chuchotées que par quelques vieux, dont je serai. Elles vont s’échouer dans les oreilles d’une préposée en CHSLD trop exaspérée par son horaire contraignant pour écouter. Certains en seront bien contents, d’autres en souffriront.

Un rapport bipolaire

Notre rapport avec l’hiver est bipolaire. Notre attachement navigue entre amour profond et haine viscérale. Chaque automne, on est là à surveiller l’arrivée graduelle de l’hiver, c’est une récurrente marque du temps qui passe. Regarder les feuilles se colorer graduellement pour finir par tomber complètement. Assister au spectacle du paysage qui tourne tranquillement au brun pour finalement geler et se couvrir de neige. Quand on sait que tout reprendra vie dans quelques mois, on se dit que c’est tout de même un phénomène hors du commun.

Le sentiment de sécurité ressenti à surveiller une grosse tempête par la fenêtre quand tout le monde est à l’abri, au chaud, est incomparable.

Pour plusieurs, c’est une période qui peut aussi sembler bien lourde. La lumière qui décline de quelques minutes quotidiennement est, à mon avis, encore plus difficile pour le moral que le froid. Ce manque de clarté sur une longue période vient tarir nos doses de sérotonine et nous pousse vers une morosité saisonnière que même un tour de patin ne peut guérir.

Imaginez : au début de l’été, le temps de clarté tourne autour de 16 heures par jour, alors que fin décembre, il dépasse à peine les 8 heures. Un déficit tel qu’on pourrait aller jusqu’à l’appeler du temps perdu.

Il y a deux clans : ceux qui mordent dans l’hiver et ceux qui se font mordre par la saison froide.

Les mordus sont facilement repérables, ils se retrouvent annuellement « ensardinés » dans ces avions qui entreprennent le même voyage que les voiliers d’oies blanches et de bernaches, en maugréant à l’unisson cette saison maudite. Les villages vacances du Sud se font l’immense plaisir de les accueillir tout sourire en leur brandissant un verre de mousseux cheap pour souligner qu’ils sont, pour un temps, en libération inconditionnelle de l’hiver. Enfin, de vraies chaudes journées, confortablement avachis sur une chaise longue. Cette chaise qu’ils ont pris bien soin de venir réserver à l’aube en y déposant simplement une serviette, s’assurant ainsi d’avoir un lieu pour s’échouer près du bar de la piscine. Du bon temps de qualité passé principalement à badiner sur la météo du Québec, consultée sur un téléphone tout en sirotant une énième margarita. Des minutes volées à l’hiver, le juste retour de ce temps perdu.

De l’autre côté, il y a ceux qui en mangent, les adorateurs de bas mercure, les animaux à sang froid toujours le pompon bien dressé. Prêts à chausser patins ou skis, ils ont les joues rouges de novembre à avril. Ils n’en finissent plus de profiter de toutes ces belles journées au pays des glaces. Malheureusement pour ces « ice capades » du traîneau, la saison perd de son mordant d’année en année, les centres de ski n’en finissent plus d’inventer de la neige, les patinoires dégèlent plus souvent qu’elles ne gèlent, nos Noëls sont désormais plus bruns que blancs, on pourrait même en conclure que nos hivers sont sous respirateur.

Peut-être que la seule façon pour les prochaines générations d’avoir accès à ce qu’était l’hiver sera de regarder Mon oncle Antoine, d’admirer des peintures de Jean Paul Lemieux ou de réciter par cœur Soir d’hiver d’Émile Nelligan.

En attendant, pour la célébrer avant sa disparition définitive, j’irai marcher dans la neige en fredonnant Mon pays de Gilles Vigneault, chanson qui sera probablement un jour considérée comme une curiosité culturelle par les anthropologues. Ils se demanderont : mais qu’est-ce que voulait bien dire le monsieur au col roulé quand il chantait : « Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver ! » ?

Qui est Dany Turcotte ?

  • Originaire du Saguenay, Dany Turcotte se fait d’abord connaître comme humoriste, au sein du Groupe sanguin au milieu des années 1980.
  • Après la dissolution du groupe, il poursuit sa carrière humoristique aux côtés de son complice Dominique Lévesque.
  • De 2004 à 2021, il est le « fou du roi » de Guy A. Lepage à Tout le monde en parle.
  • Il est l’animateur de La petite séduction de 2005 à 2017.