Ayant toujours fait preuve d'exigence dans ses choix, Isabelle Carré franchit avec Anna M. une autre étape. Dans la peau d'une érotomane dont les délires ont des conséquences de plus en plus graves, l'actrice émeut, dérange, apeure. Et offre une composition des plus troublantes.

Dans la vie, Isabelle Carré n'a strictement rien des personnages qu'elle incarne au grand écran. D'où l'étonnement de constater qu'une jeune femme ayant les pieds bien sur terre peut aller aussi loin dans la fragilité, dans l'émotion. De La femme défendue à Holy Lola, en passant par Se souvenir des belles choses, Entre ses mains et Coeurs, Isabelle Carré n'a de cesse de traquer la vérité dans ses moindres retranchements, peu importe la nature du rôle.

Dans Anna M., le plus récent film de Michel Spinosa (La parenthèse enchantée), l'actrice plonge tête première dans un monde d'illusions délirantes. Elle prête ainsi ses traits à une érotomane dont le cas s'aggrave le jour où elle commence à croire que l'amour qu'elle porte à son médecin (Gilbert Melki) est réciproque. Pour se convaincre, elle traque d'abord les moindres (faux) signaux que lui envoie celui qui meuble ses fantasmes.

Puis, la jalousie s'installe. Une jalousie morbide, insistante, et même violente. La jeune femme s'engouffre alors dans sa psychose, au point de constituer une menace à la sécurité des autres tout autant qu'à la sienne. Le comportement d'Anna n'ayant vraiment rien d'aimable, voilà bien un genre de personnage pour lequel une actrice y pense à deux fois avant de se commettre.

«Le côté violent d'Anna m'attirait et me faisait peur à la fois, expliquait Isabelle Carré à La Presse lors de son passage à Montréal le mois dernier. Je n'avais jamais eu l'occasion de jouer ce registre auparavant. Je ne savais pas si, en moi, je pouvais aller chercher le type de pulsions qui rendraient le personnage crédible. L'autre grand défi était aussi de faire en sorte qu'on ressente quand même de l'empathie pour Anna. C'est une femme qui souffre. Beaucoup.»

Un véritable engagement

Si la comédienne a d'abord hésité avant d'accepter la proposition de Michel Spinosa, elle s'est investie de tout son être dès que l'accord fut conclu.

«Lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois, Michel est arrivé avec un scénario qu'il a tenu à me remettre en mains propres, raconte celle qui a notamment obtenu le César de la meilleure actrice grâce à sa performance dans Se souvenir des belles choses. Nous avons alors moins parlé du rôle que de l'engagement qu'il attendait de la part de toute son équipe. Il ne faudra pas me laisser tomber, m'avait-il alors dit. Cette phrase a beaucoup résonné en moi.»

Spinosa, dont les films précédents, sauf erreur, n'ont jamais été distribués au Québec, a ainsi pu bénéficier du soutien total d'une actrice qui s'est abandonnée jusqu'au vertige. Elle qui, à l'époque du tournage d'Entre ses mains, disait craindre que les fantasmes de son personnage de victime ne déteignent sur les siens, en a été quitte cette fois pour une véritable plongée en apnée.

«Oui, c'est vrai, j'avais dit cela! rappelle-t-elle en riant. Mais là, c'est un peu comme si les rôles étaient inversés. Dans Anna M., je tiens cette fois le rôle du persécuteur! Alors oui, j'ai bien entendu été habitée par Anna, mais j'ai aussi eu beaucoup de plaisir à l'incarner. Même si, pendant le tournage, il y a forcément eu un peu de fatigue. Et des moments de plus grande vulnérabilité. Au dernier jour, ce fut un vrai soulagement d'avoir l'occasion de récupérer ma vie. Mais au bout d'un moment, Anna a commencé à me manquer!»

Tout comme l'auteur-cinéaste, qui a nourri son scénario pendant sept ans en se documentant de façon très rigoureuse sur le sujet, l'actrice a tenu à rencontrer des psychiatres afin de tenter de s'insérer dans l'espace mental d'Anna.

«J'ai aussi lu beaucoup de lettres écrites par des érotomanes. Des lettres bouleversantes qui me confortait dans cette idée de faire en sorte qu'on ressente aussi de l'empathie pour Anna. À travers elle, je voulais faire partager la solitude et la détresse de ces femmes qui sont atteintes de cette psychose.»

Un côté provoquant

Spinosa a aussi tenu à ce que l'actrice revoit certains films, Rosemary's Baby notamment. De même que Taxi Driver.

«Il voulait qu'Anna ait le même côté provoquant que Travis Bickle, explique l'actrice. Il y a d'ailleurs une scène qui rappelle un peu celle où De Niro se défie devant la glace. Quand j'ai vu Anna M. la première fois, j'ai d'ailleurs été fortement troublée par la façon dont mon visage change pendant cette scène.»

L'expérience fut en tout cas assez forte pour que l'actrice et l'auteur-cinéaste aient envie de remettre le couvert éventuellement. «Forcément, une histoire aussi intense a fait en sorte qu'une complicité s'est créée entre nous, indique l'actrice. C'était d'ailleurs la première fois que je voyais un cinéaste s'investir autant dans un personnage. Il était aussi Anna M. que moi! J'aime aussi l'approche de Michel sur le plan pictural. Ses images sont très soignées, très composées.»

Pour se sortir du blues d'Anna M., Isabelle Carré a eu l'occasion de jouer dans un téléfilm dont le sujet la passionne. Maman est folle est une réalisation de Jean-Pierre Améris (C'est la vie) dans laquelle elle incarne une bénévole qui tente d'aider les sans-papiers. Alternant les genres et les couleurs, elle a aussi tourné dans Cliente, le nouveau film de Josiane Balasko (Gazon maudit). Bientôt, elle gagnera le plateau d'Affaires étrangères, un film dans lequel elle donne la réplique à Catherine Frot et Louis Garrel. Pour l'occasion, elle y retrouve Jean-Paul Rappeneau, un cinéaste qui l'avait déjà dirigée dans Le hussard sur le toit. «C'était un tout petit rôle à l'époque, mais j'en garde le souvenir d'un très grand bonheur!»