Pape de l'underground, maître du surréalisme, Fellini à la puissance 10... Alejandro Jodorowsky incarne depuis 40 ans l'idée d'un cinéma unique, visionnaire et complètement déjanté. À 84 ans, il revient avec La danza de la realidad, un film en forme de bilan où il marche sur les traces de son enfance et fait la paix avec le fantôme de son paternel. Le film, qui sera présenté samedi soir et dimanche en clôture du Festival du nouveau cinéma, met en vedette son propre fils, Brontis Jodorowsky, qui joue son grand-père. De passage à Montréal pour la projection, le comédien nous parle de cette aventure familiale à saveur psychanalytique.

Q: Dans le dernier film de votre père, vous jouez le rôle de votre grand-père, homme dur et intraitable. Comment vous êtes-vous retrouvé dans cette galère?

R: Ça s'est fait naturellement. Nous avions déjà travaillé ensemble au théâtre et au cinéma. Ça s'était bien passé. La danza de la realidad étant un film sur sa propre mémoire, il m'a proposé le rôle. Il faut dire que cette histoire est aussi la mienne, puisque cet homme était mon grand-père. Nous avons fait un travail important, pour que l'archétype du père, présent dans son oeuvre depuis El Topo (1970), cesse d'être négatif.

Q: C'est donc un film sur la réconciliation?

R: Bien sûr. Mon père a résolu beaucoup de choses avec le temps, mais il dit que ce film lui a permis de guérir son âme. En ce qui me concerne, je crois que ce projet très familial a changé positivement la relation que nous avons, lui et moi. Le fait d'avoir tourné le film à Tocopilla, village chilien de son enfance, m'a permis de comprendre certaines choses de lui. Sa façon d'avoir été, de n'être plus. Ce fut bouleversant.

Q: Comment est votre père sur un plateau? Délirant et halluciné comme ses films?

R: Au contraire. Il est très précis dans ce qu'il demande. Il aime l'accident. Mais pour lui, la meilleure façon de faire surgir la spontanéité est d'être très bien préparé. Il sait ce qu'il veut, alors il est totalement ouvert à ce qui peut arriver.

Q: Des oeuvres comme El Topo (1970) et The Holy Mountain (1974) ont marqué une génération de trippeux, à commencer par John Lennon et Yoko Ono... Que pensez-vous du cinéma de votre papa?

R: Ma relation avec son oeuvre a changé avec le temps. El Topo particulièrement, puisque je suis dedans... Quand j'ai compris - bien après - que j'y jouais le rôle de mon père enfant, je l'ai vu différemment... La montagne sacrée est à mon avis un film d'anticipation. J'aime beaucoup Santa Sangre. À mon avis, beaucoup de ses films étaient en avance sur leur temps. Ce sont des objets artistiques que l'on voit peu, très différents. On aime ou on n'aime pas. Mais c'est le cinéma d'un homme libre et ça, c'est rare.

Q: Un homme libre qui a aussi été mime, marionnettiste, écrivain, auteur de bande dessinée (L'incal, avec Moebius) et maître du tarot. Quelle place occupe le cinéma dans cet univers éclaté?

R: Je crois que mon père est avant tout un raconteur... Que ce soit de la bédé, un film ou des marionnettes, ses histoires parlent toujours de la transformation d'un être, de son ombre vers la lumière. La danza de la realidad, c'est exactement ça: un voyage intérieur. Une histoire de mutation dans laquelle un père s'humanise. Je crois que le processus lui a fait du bien. Je ne sais pas si c'est ce qu'on appelle boucler la boucle. Mais il a dit que, s'il devait mourir demain, ce film serait son testament...

> La danza de la realidad, d'Alejandro Jodorowski, samedi soir, à 19 h, au Cinéma Impérial et dimanche, à 19 h, à l'Excentris.