Dans une chambre banale d'un hôtel du centre-ville de Toronto, Oliver Stone rencontrait les journalistes à la chaîne, hier, pour faire la promotion de son nouveau film (en salle vendredi), Snowden, sur le célèbre dissident du même nom. Ça fourmillait et ça s'impatientait dans les couloirs, la tension était palpable, alors que les rendez-vous retardés s'accumulaient.

C'est dans une chambre aussi banale qu'Edward Snowden, ancien crack informatique de la CIA, a révélé en 2013 à des journalistes que le gouvernement des États-Unis surveillait non seulement les appels, courriels et fréquentations numériques de dizaines de millions d'Américains, mais aussi les activités d'entreprises comme Apple, Google ou Facebook.

L'histoire de la rencontre entre la documentariste Laura Poitras, le journaliste Glenn Greenwald et Snowden, traqué depuis par la justice américaine et contraint de vivre comme un fugitif en Russie, a déjà fait l'objet d'un film, Citizenfour, Oscar du meilleur documentaire en 2015. Une incursion inédite dans les coulisses d'un coup d'éclat médiatico-politique.

Alors que le documentaire de Laura Poitras était aussi efficace qu'un thriller de John Le Carré, le film d'Oliver Stone, qui reconstitue plusieurs scènes de Citizenfour - dans une chambre d'hôtel de Hong Kong -, n'en est malheureusement qu'une bien pâle copie. Une histoire en or, réduite au tout blanc, tout noir.

Il faut dire que depuis Platoon, Wall Street et Born on the Fourth of July à la fin des années 80, Stone, qui aura 70 ans la semaine prochaine, n'a guère eu la main heureuse. Ce n'est pas avec Snowden, présenté hier au TIFF, qu'il risque de redorer son blason.

Il n'en a sans doute cure. En racontant à sa manière l'histoire du plus grand dissident américain de ce début de siècle, un jeune « patriote » ayant fait la preuve de théories du complot gouvernemental qui l'obsèdent depuis des décennies, Oliver Stone a en quelque sorte trouvé son Saint Graal.

Photo Galit Rodan, La Presse Canadienne

Le réalisateur Oliver Stone accompagné des acteurs Joseph Gordon-Levitt, Shailene Woodley, Melissa Leo et Zachary Quinto lors de la conférence de presse du film Snowden.

Photo David Boily, Archives La Presse

Nelly, le très attendu nouveau film d'Anne Émond (à gauche), était présenté vendredi soir en présence de tout le gratin du milieu du cinéma québécois. On retrouve la regrettée romancière dans le jeu sensuel de Mylène Mackay.

« Les Américains ne savent rien à ce sujet parce que le gouvernement est rusé, il ment tout le temps. Ce qu'il fait est illégal et il continue de le faire, devenant de plus en plus efficace », disait hier le cinéaste en rencontre de presse.

Rappelons que la théorie du complot au coeur du film JFK n'avait aucun fondement historique vérifiable. Et pourtant, cette théorie - défendue dans le film par le personnage de Kevin Costner - s'est en quelque sorte substituée à la réalité dans l'esprit de bien des spectateurs. Les dangers du révisionnisme sont toujours là lorsque Stone, en particulier, s'inspire de « faits vécus ».

Aussi, s'il fait écho à un scandale incontestable, le nouveau « biopic » du cinéaste de NixonW. et Alexander reste manichéen à souhait, donnant sans nuances le beau rôle à Edward Snowden, que Laura Poitras, malgré un regard bienveillant, présentait de manière autrement complexe.

Délateur narcissique ou héros des temps modernes ? Oliver Stone ne se donne même pas la peine - ni, du reste, ne donne la possibilité au public - de se poser la question.

Le scénario de Kieran Fitzgerald accorde beaucoup d'importance à la relation de couple de Snowden, pourtant d'un intérêt discutable. Et le film donne l'impression d'avoir été tourné dans les années 90, tant sa réalisation est datée et ses idées de mise en scène, défraîchies.

Snowden, pour faire court, est un mélange de drame sentimental et de thriller cybernétique, dans un enrobage orwellien caricatural.

On ne s'étonne pas d'apprendre qu'Edward Snowden, qui a un « caméo » dans le film, a eu un certain droit de regard sur ce portrait très flatteur. Grâce à son avocat russe, un homme que l'on dit proche du pouvoir et qui a écrit un livre inspiré des mésaventures de son client (dont Oliver Stone a obtenu les droits), le cinéaste s'est rendu neuf fois en Russie afin de rencontrer celui qui a levé le voile sur le vaste programme clandestin de surveillance électronique orchestré par la NSA (National Security Agency).

L'acteur Joseph Gordon-Levitt a lui aussi pu discuter longuement avec Snowden, accusé d'avoir contrevenu à des dispositions de l'Espionage Act, loi datant de la Première Guerre mondiale. « Avant toutes choses, j'étais intéressé par son patriotisme, dit le comédien, qui a adopté par mimétisme le phrasé robotique de Snowden dans le film. Il a fait ce qu'il a fait par amour pour son pays et pour les principes sur lequel ce pays est fondé. »

Edward Snowden, qui a 33 ans, est toujours recherché par les autorités américaines et passible de prison pour haute trahison. Il s'est réfugié en Russie, où il a obtenu en 2014 un droit de résidence jusqu'en 2017. « Je sais qu'il aimerait rentrer chez lui. J'espère qu'il le fera », dit Joseph Gordon-Levitt. « Peut-être que le film peut aider, comme le documentaire », souhaite Oliver Stone.

Tout sourire en conférence de presse, avec ses sourcils en broussaille lui donnant des airs de Brejnev - lui qui prépare, semble-t-il, un documentaire sur Poutine -, le cinéaste a dénoncé « ce monde devenu fou » ainsi que Barack Obama, qu'il tient personnellement responsable des dérives de l'obsession sécuritaire américaine et du non-respect du droit à la vie privée des citoyens américains.

« J'espère que M. Obama aura un éclair de clairvoyance et qu'il offrira un pardon à Edward Snowden. Malgré le fait qu'il a poursuivi vigoureusement huit personnes sous l'Espionage Act, un record dans l'histoire américaine, il est l'un des gestionnaires les plus efficaces de la surveillance mondiale. Il a créé l'État le plus intrusif de l'histoire », a déclaré Stone, en regardant vers le ciel, comme s'il était sous écoute.

Le cinéaste, dont les plus récents projets - sur Martin Luther King et le massacre de My Lai - ont avorté, avait crié à l'autocensure lorsque son film sur Edward Snowden n'avait pas reçu de financement des grands studios américains. M'est avis qu'ils avaient peut-être vu le film pour ce qu'il est : un blockbuster prévisible et sans envergure.

« J'ai grandi dans un monde où ce genre de choses n'était pas envisageable, dit-il. J'ai lu George Orwell, mais je n'ai jamais cru que ça pourrait arriver. Mais depuis 2001, il est très clair que quelque chose de radical a changé. Vous me connaissez : je crois qu'il ne faut pas se fier aux apparences. Il faut voir au-delà des discours officiels. »

Et au-delà du blanc et du noir...

NELLY ET LA FOLIE

Le très attendu nouveau film d'Anne Émond, sur la regrettée romancière Nelly Arcan, était présenté vendredi soir en présence de tout le gratin du milieu du cinéma québécois, dans un cinéma excentré de la rue Bloor. « C'est un personnage complexe et ce fut toute une aventure », a expliqué avant la projection la cinéaste, dont les précédents longs métrages, Nuit #1 et Les êtres chers, avaient aussi été sélectionnés au TIFF.

Nelly est un film contemplatif et langoureux, impressionniste, mais moins éclaté que je ne l'aurais espéré. Pourtant, Anne Émond a fait le choix délibéré de ne pas réaliser une biographie traditionnelle - son premier scénario, qui correspondait davantage au genre, était « ennuyeux », de son propre aveu.

Il ne s'agit pas en effet d'un « biopic » classique, en ce sens que toute la vie de Nelly Arcan n'est pas racontée de manière chronologique ni exhaustive, mais plutôt par bribes et par le truchement d'extraits de ses romans (en voix hors champ). Anne Émond, qui n'a jamais rencontré Nelly Arcan, dont elle était une admiratrice, s'est nourrie des entretiens qu'elle a réalisés avec ses amis, ses amoureux, son psy, sa famille.

On reconnaît l'artiste au destin tragique, dans ses multiples incarnations - l'écrivaine, la putain, l'amoureuse transie, la jalouse maladive, la toxicomane, la névrosée - et dans le paradoxe de son rapport à la célébrité, à la critique, au corps. On la retrouve dans le jeu sensuel de Mylène Mackay et ce besoin maladif d'être aimée et désirée, autant dans la provocation que dans la séduction.

Anne Émond résume cette vie de manière onirique et mélancolique, fixant essentiellement sa caméra sur son personnage principal. Nelly est un portrait intime, sensible - les dialogues sont pour la plupart chuchotés -, que j'aurais souhaité, dans sa mise en scène élégiaque, chargé d'un peu plus de folie.

ISABELLE HUPPERT N'A PAS LE CHOIX

J'ai rencontré hier Isabelle Huppert en prévision d'une entrevue à paraître au moment de la sortie du (très tordu) thriller psychologique de Paul Verhoeven, Elle, qui nourrit pour l'actrice française bien des rumeurs de sélection aux Oscars. L'égérie de Chabrol et de Haneke participait en après-midi à une « conversation » officielle du Festival, retraçant l'ensemble de sa filmographie. J'en ai profité pour lui demander, parmi l'ensemble de ses « bébés », lequel elle trouvait le plus beau. Comme tout parent, elle n'a pas pu choisir.

« Je vois bien les films qui ont marqué, mais tous les films que j'ai faits, je les porte dans mon coeur d'une certaine façon, m'a expliqué l'actrice, qui dit ne jamais revoir ses films. Évidemment les films de Chabrol, évidemment La pianiste, évidemment tous les metteurs en scène avec qui j'ai tourné plusieurs fois - Benoît Jacquot, Chabrol, Michael Haneke. Mais je peux en dire autant de L'avenir, le film que j'ai fait avec Mia Hansen-Love [présenté lui aussi au TIFF cette année, tout comme Souvenir de Bavo Defurne] et bien d'autres. Franchement, j'ai des relations fortes avec tous les metteurs en scène avec qui j'ai tourné.

- J'imagine que vous avez désormais l'embarras du choix ? lui ai-je aussitôt demandé.

- Non, justement, je n'ai pas l'embarras du choix !

- Parce que les metteurs en scène n'osent pas ou croient que vous êtes trop sollicitée ?

- Aucune actrice au monde n'a l'embarras du choix. Même Meryl Streep ne vous dira pas qu'elle a l'embarras du choix. Ça n'existe pas. On peut choisir entre le mauvais et le bon. Je ne sais pas si on peut appeler ça un choix. On choisit forcément le bon, ou alors on est masochiste ! »

EWAN McGREGOR SOULAGÉ

American Pastoral de Philip Roth est un classique de la littérature américaine contemporaine. L'histoire d'un homme, « Swede », à qui tout souriait - la popularité, le succès, l'amour - jusqu'à ce que sa fille unique décide de grossir les rangs révolutionnaires pendant les mouvements des droits civiques des années 60. Le pari était risqué, mais le premier film de l'acteur écossais Ewan McGregor (qui incarne le personnage principal), présenté en primeur au TIFF, est une adaptation réussie, quoique plutôt convenue, de ce récit réputé inadaptable. C'est du reste l'avis de Roth, qui, de manière indirecte, l'a fait savoir à l'acteur-cinéaste. « Ce fut un énorme soulagement, a déclaré McGregor en conférence de presse hier. Je n'avais pas réalisé à quel point je craignais qu'il n'aime pas le film. Parce qu'il était très important pour moi de saisir l'essence du roman. Il nous a confirmé que je ne m'étais pas trompé ! »