Après Les triplettes de Belleville et L'illusionniste, films d'animation qui ont forgé sa réputation, le cinéaste Sylvain Chomet se frotte, avec Attila Marcel, à un premier long métrage de fiction «en vue réelle». La Presse s'est entretenue avec lui et deux de ses acteurs.

En évoquant un «rapport à l'enfance», la comédienne Anne Le Ny a bien décodé l'univers du cinéaste français Sylvain Chomet, avec qui elle a travaillé sur Attila Marcel.

«Même s'ils sont très différents, il y a un rapport à l'enfance évident dans L'illusionniste, Les triplettes de Belleville et Attila Marcel, a-t-elle dit en août 2013 lorsque La Presse l'a rencontrée à Angoulême. On ressent chez lui une forme de nostalgie un peu douloureuse.»

Joint en France, Sylvain Chomet confirme ce sentiment, même s'il trouve difficilement les mots pour donner un sens, une intention à son oeuvre.

«Je ne veux pas faire réfléchir les gens, dit-il. Ce que je veux, c'est toucher des choses enfouies au fond d'eux, atteindre les premières couches. D'ailleurs, les gens qui ont eu une enfance assez dure ne rejoignent pas mes films.»

Comme quoi, on l'aura compris, Chomet peut mettre le doigt là où ça fait mal. Enfance, premières couches, choses enfouies en nous... Il y a ici un fil conducteur.

Mais bon, Chomet ne se fait pas méchant psy. Bien au contraire, il nous propose une histoire tout à fait crédible campée dans un univers onirique, coloré, souvent très drôle et attendrissant.

Attila Marcel nous entraîne dans un immeuble parisien où Paul (Guillaume Gouix), trentenaire muet, vit avec ses deux tantes, jouées par Bernadette Lafont et Hélène Vincent, qui en ont fait leur objet, un pianiste virtuose dont le jeu égaie leurs événements mondains. Au hasard d'une rencontre, Paul fait la connaissance de Madame Proust (Le Ny), une excentrique craquante dont les tisanes aux herbes hallucinogènes vont conduire Paul à trouver sa propre voie.

«Mon personnage est un jeune homme qui doit se libérer de son éducation, de ses carcans, pour devenir lui-même. Il y a ici une espèce de quête spirituelle», résume Guillaume Gouix, également rencontré à Angoulême.

L'intrigue se décline et se dénoue dans un univers décalé qui n'est pas sans rappeler le savoureux roman La vie mode d'emploi de Georges Perec. Sylvain Chomet s'est visiblement amusé à construire un univers qu'il qualifie de «caricature du réel».

«Des projets comme celui-là, il en passe très peu, ajoute Anne Le Ny. Il est très rare d'avoir l'occasion d'entrer dans un univers singulier comme celui-ci. C'est une occasion qu'on prend lorsqu'on la voit passer.»

Les yeux de Guillaume

Il est rare de voir un acteur jouer pendant toute la durée d'un film sans dire une seule phrase. Guillaume Gouix et Anne Le Ny estiment que cette particularité n'a pas ajouté un niveau de difficulté dans le jeu. Au contraire, tous deux y ont vu l'occasion de travailler différemment. «C'était une situation agréable parce qu'on ne pouvait plus mentir, dit M. Gouix. En me retirant la parole, tout ce que je faisais et qui constituait un mensonge se voyait.»

Le réalisateur dit avoir choisi l'acteur en raison de son regard. «Guillaume est engoncé dans un corps très rigide, dit-il, ce qui faisait ressortir la qualité de son regard. On ne pouvait s'en détacher. Il a écrit son propre texte au niveau des yeux [rires].»

Sylvain Chomet aura aussi été le dernier réalisateur à tourner un long métrage avec Bernadette Lafond avant la mort de l'actrice. «Après mon film, elle a fait un dernier court métrage, puis elle est partie très rapidement. Ç'a été un choc pour tout le monde.»

On se rappelle la collaboration de Chomet avec les Québécois Benoît Charest et Béatrice Bonifassi, qui ont signé la musique des Triplettes. À travers Go West, une comédie musicale qu'il a créée et qui prendra l'affiche le 3 octobre à Paris, Chomet remet celles-ci au goût du jour.

«Pour moi, Belleville, c'est Gaspé, dit-il. Et Go West est la suite des Triplettes. Il y a dans la pièce une petite scène qui se passe au Québec.»

M. Chomet jongle aussi avec l'idée de faire un film campé dans le milieu des ligues d'improvisation. «J'ai récemment vu un match France-Québec à Paris et les Québécois étaient très bons. Si je fais mon film, il y aura une scène avec un match d'impro au Québec.»

Attila Marcel prend l'affiche le 23 mai.