(Toronto) Avec une vingtaine de productions, dont les deux tiers réalisés par des femmes, le cinéma québécois est en vedette au Festival international du film de Toronto (TIFF). Dans cette cuvée 2023, toujours aussi courue malgré l’absence de vedettes américaines, en grève, le nouveau film de Chloé Robichaud, une habituée du festival, a été bien accueilli samedi. La cinéaste livre une œuvre émouvante, portée par le jeu tout en finesse de Sophie Desmarais.

Il y avait beaucoup de larmes au Bell Light Box, le quartier général du TIFF à Toronto, samedi soir. Dans la salle bondée. Et aussi sur la scène, après la présentation en première mondiale des Jours heureux, en présence de Chloé Robichaud, de Yannick Nézet-Séguin et d’une partie de la distribution.

Interrogée par Norm Wilner, le programmateur des films canadiens au TIFF, la réalisatrice montréalaise a pleuré (de joie) au milieu d’une réponse. Tout comme son actrice principale, Sophie Desmarais, bouleversante en Emma, une cheffe d’orchestre dont la carrière est en ascension… Mais le cœur en chamade. Un spectateur a fait remarquer à Robichaud que, contrairement à son titre, son film est plus triste que joyeux… « Mais sa fin est heureuse, selon moi », a-t-elle rétorqué.

L’émotion flottait encore lorsque Sylvain Marcel a confié au public s’être inspiré de sa propre enfance pour jouer le père d’Emma : « J’ai aussi eu un Maurice dans ma vie », a-t-il dit, en référence au père violent et toxique qui a fait souffrir son personnage.

« J’adore le TIFF, parce que c’est l’endroit idéal pour rencontrer le public », nous a d’ailleurs confié la cinéaste, avant la projection. « Contrairement à d’autres festivals plus axés sur l’industrie ou la critique. Ici, les gens sont mis de l’avant. »

La musique classique est un personnage en soi qui nous transporte et nous fait entrer dans la tête de la protagoniste des Jours heureux. La cinéaste a donc travaillé avec Yannick Nézet-Séguin, comme conseiller musical, pour donner plus de modernité et de réalisme à son film.

PHOTO ARTHUR MOLA, FOURNIE PAR MAISON 4:3

L’actrice Sophie Desmarais et le chef d’orchestre Yannick Nézet-Séguin

« Moi, je trouve que l’art total, c’est le cinéma », nous a dit Nézet-Séguin, encore admiratif devant le travail de Robichaud.

« Je me suis toujours dit qu’un jour, j’aimerais réaliser un film, mais quand j’ai vu de plus près travailler Chloé et Bradley Cooper, je me suis dit que je ne serais pas capable ! Il y a trop de monde à gérer sur un plateau », conclut-il en riant.

Toute une musique

Emma vit aussi une relation complexe avec son père et agent (Sylvain Marcel), qui maintient une emprise sournoise sur elle depuis l’enfance. Lorsqu’on l’approche pour un poste important au sein d’un orchestre prestigieux, ses relations avec ses proches vont se compliquer encore plus. La talentueuse cheffe, très en contrôle, devra s’abandonner. Pour laisser place aux émotions enfouies et se libérer du cycle de la violence et du non-dit.

PHOTO TIRÉE DU FILM LES JOURS HEUREUX , FOURNIE PAR MAISON 4:3

Sophie Desmarais incarne Emma, une cheffe d’orchestre dont la carrière est en ascension.

Outre Sophie Desmarais et Sylvain Marcel, on retrouve dans la distribution Maude Guérin, Nour Belkhiria, Vincent Leclerc, Yves Jacques, Katherine Levac ; sans oublier les musiciens de l’Orchestre Métropolitain, qui ont accepté de jouer à la demande du chef principal et directeur artistique de la compagnie.

« Mes films précédents sont plus contemplatifs que celui-ci. Car j’ai voulu aller davantage dans les émotions brutes », poursuit la réalisatrice.

La musique m’a aidée à le faire. Elle est le vecteur parfait pour parler des enjeux de cette femme, prise dans des relations compliquées, toxiques. Et qui voudrait s’épanouir.

Chloé Robichaud, réalisatrice

C’est aussi un film qu’elle dit plus intuitif, avec lequel elle tente de jeter un regard vif sur les questions de l’héritage et de la filiation, thèmes universels. « Avoir une cheffe d’orchestre au cœur de cette histoire m’a offert une occasion de le faire de manière émouvante et cinématographique. »

Peinture moderne du milieu

« Le milieu a changé et Les jours heureux témoigne de cette nouvelle réalité, affirme Yannick Nézet-Séguin. Par exemple, la place des femmes sur le podium, l’arrivée de programmes plus novateurs dans les saisons, mais surtout, d’une approche plus moderne, humaine des directions musicales envers les musiciens. L’image du chef autoritaire, hyper rigide, qui terrorise son orchestre, ça ne passe plus. »

D’ailleurs, signe du renouveau classique, en entrevue avec La Presse, le directeur musical du Metropolitan Opera de New York porte du vernis bleu électrique sur les ongles et des shorts bleu royal à rayures. On est loin de Herbert von Karajan ! Nézet-Séguin a aussi été conseiller spécial pour le film Maestro, film biographique sur Leonard Bernstein, réalisé par Bradley Cooper, et présenté au dernier Festival de Venise.

Trois saisons, trois compositeurs

Le récit des Jours heureux est divisé en trois parties, portées tour à tour par trois compositeurs : Mozart, Schoenberg et Mahler. Chaque compositeur représente une période distincte de la vie d’Emma. Au chapitre final, la cheffe dirige brillamment l’adagietto de la Cinquième de Mahler. Emma s’abandonne totalement dans la musique et ses émotions. Toute la force, la beauté, l’immortalité de la musique de Mahler épouse l’affranchissement d’Emma. Et on pleure avec elle.

Les jours heureux sera présenté au Festival du nouveau cinéma, qui se déroulera du 4 au 15 octobre à Montréal. Le film sort en salle au Québec le 20 octobre.

Consultez la fiche des Jours heureux, sur le site du TIFF (en anglais)