Les médias nous ont rappelé ces dernières semaines l'année mouvementée qu'a été 1968, et ce «printemps de la contestation» qui a marqué la naissance d'une nouvelle ère et relégué aux archives de l'histoire les comportements, les mentalités et les croyances qui ont régné sur le monde occidental jusqu'au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.

Si le printemps 68 remplit les livres d'histoire moderne, il marque aussi le très triste anniversaire de la disparition tragique d'un homme simple mais immensément talentueux, l'idole de toute une génération d'amateurs de Formule 1.

Un fermier écossais

Il s'appelait Jim Clark. Né en 1936, ce fils de fermiers écossais s'est découvert très tôt, à la grande surprise de ses parents, une passion pour le sport automobile. À 20 ans, il a fait ses débuts sur une modeste Sunbeam Talbot et a poursuivi son apprentissage en s'inscrivant à des courses de club sur une Porsche appartenant à un ami. Ses débuts en monoplace remontent à 1959, à Brands-Hatch, au volant d'une Gemini. Parmi les spectateurs, un certain Colin Chapman, père de l'équipe Lotus.

«Dès que je l'ai vu à l'oeuvre, j'ai compris. Jim possède un talent incroyable, ses qualités sautent aux yeux. Son style frôle la perfection et dès qu'il aura entre les mains une monoplace de première place, il sera imbattable...» prédit le Britannique.

Chapman a vu juste. À son premier Grand Prix, aux Pays-Bas, en 1960, Clark s'est hissé à la quatrième place avant d'abandonner. Il a marqué ses premiers points à la course suivante, en Belgique. En 1962, Clark et sa Lotus 25 ont signé sept poles positions et trois victoires et, à la dernière course de la saison, disputé le championnat à Graham Hill. Un écrou moteur qui a cédé lui a coûté la victoire et le titre, mais le duo Chapman-Clark s'est repris en 1963 en remportant sept victoires sur 10 courses et le championnat du monde. En 1965, «une année particulièrement faste», Clark a remporté à nouveau les honneurs en Formule 1 et s'est payé la victoire aux 500 Milles d'Indianapolis.

 

À 29 ans, le petit Écossais a dominé et a fait figure de référence absolue dans le monde du sport automobile, tant sur monoplace que sur d'autres types de voitures, sur circuit routier, piste ovale et en rallye.

C'est d'ailleurs sa polyvalence qui explique en partie sa popularité sans bornes. Une polyvalence doublée d'une simplicité frôlant la timidité, qui lui a valu le titre non officiel de dernier «gentleman pilote».

Le même sort

En mars 1968, lors d'une course de Formule 2 sur le tracé de Hockenheim, en Allemagne, la petite Lotus de Clark a quitté soudainement la piste et a terminé sa course contre un arbre.

Je me souviens clairement de cet instant, quand la radio a annoncé la mort de Jim Clark. Pourtant, je le pensais invincible, éternel. Quatorze ans plus tard, mon fils, alors âgé de 10 ans, a lui aussi porté le deuil, celui de son idole, Gilles Villeneuve, le «piccolo grande Canadese», comme l'avait surnommé Enzo Ferrari. Même passion, même talent, même soif de vaincre, même sort. L'un avait 32 ans, l'autre 30.

La fiancée

Permettez-moi, chers lecteurs, de terminer cet hommage par un épisode personnel que j'ai vécu récemment au Circuit Mont-Tremblant, lors du Sommet des légendes. J'étais dans le paddock, près de ma voiture, lorsqu'une petite dame d'un certain âge s'est approchée pour exprimer son admiration, avec un accent très britannique, devant ma petite Abarth.

«J'ai connu ces voitures sur les circuits d'Europe dans les années 60 lorsque je suivais mon fiancé, a-t-elle dit.

- Votre fiancé?

- Oui, je m'appelle Sally Stokes. J'étais la fiancée de Jimmy Clark...»

Je ne suis pas superstitieux, mais peut-être que Jimmy lui a soufflé, de l'au-delà: «Va faire un tour dans le paddock et dis bonjour de ma part au gars de l'Abarth rouge. Je crois qu'il a pleuré le 6 avril 1968...»