Voici la vidéo que l'Union des producteurs agricoles devrait montrer pour convaincre les fils et filles de fermiers qui hésitent à prendre la succession des fermes familiales québécoises.

Car si vous avez 20 ans et la volonté de vous endetter et de travailler 365 jours par année, la dernière chose que vous voulez, c'est en plus de conduire un tracteur de ferme plate.

Pour célébrer ses 60 ans, le constructeur de tracteurs et de matériel agricoles suédois Valtra vient de divulguer une animation qui montre de quoi aurait l'air son tracteur de l'avenir. Le tracteur-concept ANTS est aussi débridé que les prototypes les plus fous qu'on voit dans les grands salons de l'auto. On y voit notamment l'influence des designers automobiles de Peugeot et Citroën, réputés pour leurs essais stylistiques particulièrement hors-normes.

La fonction crée l'organe... et le tracteur

Mais ANTS (fourmis, en anglais) s'inspire aussi de la nature et imite l'anatomie de la fourmi, ainsi que la division du travail qui s'observe dans une fourmilière. «Les futurs agriculteurs auront besoin de machines polyvalentes, légères et puissantes avec lesquelles ils pourront réaliser des tâches dépassant les attributions d'un tracteur traditionnel et rationaliser au maximum leur exploitation agricole», explique Valtra.

Ce souci de polyvalence s'exprime aussi dans un jeu de mots: Valtra produit plusieurs séries de tracteurs, dont les modèles A, N, T et S, qui ont chacun ses attributs et spécialités. Le tracteur-concept ANTS tente de réunir un maximum de capabilités, notamment par l'introduction d'un tracteur sans conducteur et sans cabine, hautement informatisé, fonctionnant en parallèle de l'engin principal piloté par le fermier.

Cette approche modulaire ou «tout à la carte», comme dit Valtra, permet aussi de coupler les deux machines, pour les utiliser en série et accomplir certaines tâches requérant plus de puissance. ANTS a aussi des applications forestières, où seraient très utiles ses roues télescopiques dont la taille peut doubler. Cela lui permet de rouler sur des terrains spongieux et glissants, tout en portant de lourdes charges.

Évidemment, puisqu'on est dans la futurologie, les moteurs sont électriques, alimentés soit par des ensembles de batteries ultra-performantes au lithium-air (un concept scientifique à ses premiers balbutiements) ou par des piles à combustibles à hydrogène (à des années-lumières d'usages intensifs comme l'agriculture).

Le tableau de bord est entièment projeté sur le pare-brise, comme on le voit sur des Cadillac et des Mercedes-Benz aujourd'hui. L'adaptation devrait donc être facile pour les agriculteurs de l'UPA, si on se fie au nombre de BMW qu'on voit dans les entrées de garage des fermes québécoises.

368 chevaux-vapeur... et plus de mal de dos

Le tracteur piloté (la «fourmi ouvrière») a des moteurs-roues totalisant 200 kW (268 chevaux-vapeur), ceux de l'engin compagnon sans pilote (la «fourmi soldat») totalisent 100 kW (134 CV).

Une des caractéristiques les plus ingénieuses de ce concept est la tête de l'ouvrière, qui est la cabine de pilotage. Elle est articulée et s'abaisse et se lève selon le travail à faire, pour toujours donner au fermier le meilleur angle de vision. Quand les deux machines sont couplées, la cabine peut être positionnée sur l'un ou l'autre des modules.

Autre avantage, compte tenu du vieillissement de la population: selon Valtra, la majorité des accidents de travail à la ferme surviennent en montant sur le tracteur ou en en descendant. Avec la tête articulée du tracteur ANTS, plus d'échelle à escalader: la cabine se pose au ras du sol à l'arrêt du tracteur. Plus jamais de tour de rein en sautant en bas du tracteur.

La suspension est indépendante aux quatre roues, qui s'ajustent en hauteur grâce à des vérins hydrauliques (à eau, pas à l'huile) qui gardent l'assiette du ANTS le plus horizontale possible, même sur les terrains les plus accidentés. Des bras hydrauliques permettent aussi de déplacer latéralement la machinerie aratoire, pour éviter les obstacles.

Illustration fournie par Valtra

L'unité "ouvrière" du concept ANTS, de Valtra.

La documentation de Valtra n'est pas aussi précise que ce qui est décrit ci-haut. La plupart des détails donnés ici sont déduits d'une série d'illustrations mises en ligne sans commentaire par la compagnie, sur son site internet.

Valtra a des racines communes avec la suédoise Volvo et avec la finlandaise Valmet, mais a été achetée en 2004 par la compagnie américaine de matériel agricole AGCO. Elle conserve toutefois une certaine autonomie sur ses marchés naturels d'Europe, mais aussi d'Amérique du Sud, où une filiale a été implantée durant les années 60. Certains fermiers canadiens en ont. «Ils sont en vente au Canada, mais ils ne sont pas aussi populaires que nos autres marques», a indiqué AGCO par courriel à La Presse.

Tout cela, évidemment, est hypothétique. D'autant plus qu'on ne sait pas ce que l'économie du futur sera. Le fabricant de tracteurs japonais Kubota fait aussi des tracteurs très modernes et équipés de toutes sortes de gadgets high tech. Mais, la semaine dernière, il a annoncé qu'il allait distribuer au Japon des tracteurs simples, non automatisés, sans luxe ni prouesse technique, qu'il avait conçu pour le marché chinois. Et ce, pour s'ajuster aux changements dans la demande au Japon. La réalité, c'est peut-être que le fermier moyen, au Japon, n'a plus les moyens de se payer des Cadillac aratoires.

Ici au Québec, investir dans une ferme est déjà un engagement et un risque financier qui s'échelonne sur une vie. Et on ne sait pas si le prochain traité de libre échange remettra en question le système de gestion de l'offre qui fait sourciller les économistes. Alors qui sait? Peut-être que le tracteur de demain ressemblera plutôt au tracteur des années 80...

Illustration fournie par Valtra

L'unité "soldat" du concept ANTS, de Valtra.