Il y a des voitures de route et il y a des voitures de course. Et les deux n'ont jamais été aussi éloignées l'une de l'autre. Dans les années 60, il arrivait souvent que l'on puisse fréquenter les circuits en se contentant d'arborer un numéro sur les portières du «bolide», de masquer les phares avec du ruban gommé, de poser quelques autocollants çà et là et, sonorité oblige, de retirer le système d'échappement. On allait même jusqu'à conduire la voiture sur la route pour l'aller-retour au circuit. Cette mise en scène n'était pas loin de la vérité lorsque l'on s'en tenait au niveau amateur.

De nos jours, l'accès à une piste de course à des fins de compétition a beaucoup changé, tout comme le prix d'admission. Alors qu'un budget de 15 000$ vous permettait d'aligner une voiture gagnante au début de 1970, cette somme de nos jours suffit à peine à acheter deux trains de pneus (pluie et piste sèche) et à acquitter les factures d'essence. Encore faut-il le trouver, ce précieux carburant dont l'indice d'octane ne doit pas être inférieur à 98. Calculez environ 4$ le litre ou 700$ pour une fin de semaine de course. Bref, pour arriver à monter sur le podium, prévoyez environ un demi-million de dollars pour une saison, incluant la voiture. Et encore là, tout dépend de la catégorie envisagée, des bris mécaniques dont on n'est jamais à l'abri ou des accrochages pouvant survenir dans le feu de l'action. Tenons-nous en à une classe accessible, très compétitive et ouverte à des pilotes souvent moins aguerris comme l'IMSA, une catégorie nord-américaine évoluant au Canada.

Ni luxe, ni confort

La voiture choisie pour illustrer ce propos est une Porsche GT3 Cup 2007, au départ une voiture Grand Tourisme transformée en une battante de haute volée par l'usine Porsche. C'est au volant d'un modèle de cette cuvée que je me suis remis à jour et constaté la différence entre la Porsche 911 de mon temps et celle d'aujourd'hui.

Copie conforme d'une 911 de série à l'extérieur, la GT3 montre un tout autre visage à l'intérieur. Pas de cuir, de vinyle, de tissu, d'aluminium ou de décoration quelconque. Et aucuns accessoires tels la climatisation ou la chaîne audio. Le poste de travail d'un pilote de GT3 est austère, dépouillé et ne fait aucun effort pour flatter le regard. Dégarnie de toute insonorisation, la voiture fait abstraction de tout ce que l'on juge être des kilos inutiles.

La couleur blanche de la carrosserie est visible partout dans un intérieur bardé de tuyaux qui s'entrecroisent pour former ce que l'on appelle dans le jargon de la course, le «roll cage». Sur le plancher, à droite du pilote, un immense extincteur vous rappelle que le feu demeure toujours l'ennemi le plus redouté en course automobile. Le tableau de bord ressemble davantage à une «planche» de bord où s'aligne une vingtaine de basculeurs et de boutons dont trois servent à la mise en route du moteur. L'un restaure le système électrique, le second active l'allumage et il ne suffit plus qu'à appuyer sur le bouton «Start» pour que le tonnerre se mette à gronder à l'arrière.

La seule instrumentation consiste en un écran à affichage numérique où l'on peut lire une foule impressionnante d'informations. Le système d'acquisition de données mis au point par la firme Motec de Californie a l'oeil sur tout et les informations qu'il divulgue sont modifiables et apparaissent sur trois pages qui basculent entre le mode de réchauffement (warm up mode), de pratiques (practice mode) et celui programmé pour la course (race mode). Selon le mode choisi, les informations varient et, lors du réchauffement par exemple, le régime moteur est limité à 6000 tr/min.

Photo François Bourque, collaboration spéciale

En virage, la Porsche 911 GT3 Cup exige toujours une certaine application, au risque de voir l'arrière changer de direction.

Aucun répit pour le pilote

Parmi les autres données pouvant s'afficher sur l'écran, on note la pression et le niveau d'huile, la pression de l'essence, la température du moteur, le voltage, le rapport de vitesses sélectionné, la vitesse atteinte, le niveau d'essence, le kilométrage parcouru, la répartition du freinage avant/arrière, les temps chronométrés sur chaque tour et, bien entendu, le régime du moteur, limité à 9000 tours en mode course. On voit que le travail d'un pilote de course ne se limite pas à appuyer sur l'accélérateur ou sur les freins. Il doit surveiller et ajuster sa machine en tout temps.

Comme sur la plupart des voitures de course modernes, le volant peut s'enlever pour faciliter l'accès ou la sortie du véhicule à des pilotes de grande taille. En passant, on y retrouve deux boutons rouges: l'un pour la radio (communication avec les puits) et l'autre pour ne pas dépasser la vitesse limite en vigueur dans les puits de ravitaillement. Et il ne faut surtout pas oublier le «climatiseur» parfaitement rudimentaire et qui n'est rien d'autre qu'un immense boyau doté d'un ventilateur permettant de canaliser l'air du dehors jusque dans l'habitacle.

Mais passons aux choses sérieuses.

Premier défi, monter dans la voiture. On ouvre la portière en fibre de carbone qui paraît légère comme du papier. Il faut préciser qu'elle ne pèse que 2,5 kilos et qu'elle fait sa petite part pour maintenir le poids total de la Porsche GT3 Cup Car à 1150 kg. Pour s'installer élégamment dans l'étroit siège baquet, il faut un corps de gymnaste, à défaut de quoi le spectacle n'est pas particulièrement gracieux.

Photo François Bourque, collaboration spéciale

Le circuit sinueux d'ICAR à Mirabel se prête bien à une voiture de course comme cette Porsche GT3 Cup Car.

Un moteur capricieux

Je prends un long moment pour me remémorer la multitude de commandes et le moment est venu de dompter la bête. Ça y est, le moteur est lancé. Avec le levier de vitesses au point mort, je relâche la pédale d'embrayage et j'ai droit à un terrifiant bruit mécanique comme si des billes s'entrechoquaient dans une chaudière de métal. «Qu'est-ce qui se passe?» ai-je tout de suite demandé au mécano de Martin Harvey, qui a eu la grande générosité de me prêter sa voiture de fin de semaine pour les fins de cet article. «Ne vous en faites pas Jacques, c'est tout-à-fait normal» de répondre le préposé à l'entretien de cette précieuse mécanique, le sympathique Stephan Mouradian.

L'instant d'avant, j'avais la ferme conviction d'avoir saboté la boîte de vitesses séquentielle avec laquelle on m'avait demandé d'être prudent vu qu'elle coûte, à elle seule, la bagatelle de 30 000$. Second défi, placer en première le long levier de la boîte de vitesses séquentielle à 6 rapports et se mettre en route. Le moteur 6 cylindres 3,8 litres de cette Porsche ne consent à livrer la totalité de ses 450 chevaux qu'à 9000 tr/min. Ce qui signifie qu'en dessous de 4000 tours, la puissance est quasi inexistante et les dangers de caler le moteur sont élevés. Je m'en tire en deux fois et me voilà en piste chez ICAR. Le moteur bafouille et je sélectionne un rapport inférieur pour le débarrasser de ses toussotements. La boîte séquentielle de cette GT3 est ainsi faite que l'on peut monter les rapports en tirant sur le levier alors que pour rétrograder il faut appuyer sur l'embrayage, ce qui n'est pas facile à assimiler.

Même si mon casque sert un peu d'insonorisant, le bruit est considérable et on est loin de la douceur et des performances tranquilles des Porsche des année 70.

Photo François Bourque, collaboration spéciale

Difficile d'imaginer autant d'austérité dans l'intérieur d'une voiture de course d'environ 300 000$. C'est pourtant là le poste de travail du pilote d'une Porsche GT3 Cup Car. Notez sur la gauche le tuyau souple amenant l'air de l'extérieur pour rafraîchir l'habitacle.

Tête-à-queue

La souplesse et la douceur des premières 911 ont cédé leur place à une voiture au comportement brutal dont il faut calmer les propensions au dérapage. Tiens, une seconde d'inattention et me voilà en tête-à-queue dans le virage numéro 3. Après ce test d'humilité, je repars en me concentrant davantage pour mieux sentir la voiture. La puissance est telle qu'il faut savoir bien la doser en sortie de virage. Cette GT3 s'acquitte du 0-100 km/h en 3,2 secondes et plafonne à 300 km/h, deux performances qui vous auraient fait gagner un Grand Prix de F1 en 1960. Sa tenue de route repose en bonne partie sur la technologie Moton (ne pas confondre avec Motec), une firme spécialisée dans les suspensions et amortisseurs développés pour la course. Sur la GT3, pas moins de 15 réglages différents de suspension sont proposés.

Après deux portions de 7 à 8 tours chacune, je suis loin d'avoir appris à maîtriser tout ce que cette Porsche a à offrir.

Photo Jacques Duval, collaboration spéciale

L'écran central du système d'acquisitions de données Motec (ici en mode course) peut fournir toute une cavalcade d'informations au pilote d'une Porsche GT3 de course.

Un détail saute aux yeux toutefois et c'est que le niveau de mise au point des voitures destinées à la piste a fait des progrès énormes au cours des dernières décennies. Malheureusement, les coûts ont suivi la même trajectoire et une GT3 Cup Car neuve frôle les 300 000$ si jamais vous désirez établir votre budget. À cela vous devrez ajouter la roulotte, le camion pour la tirer, des pièces de rechange, un mécano et au moins un assistant, les frais de déplacement, les hôtels et une liste longue comme le bras de frais imprévus. Comme quoi, ne fait pas de la course qui veut en ces temps modernes. Les années 60 et 70, c'était la belle époque, croyez-moi...

Photo Jacques Duval, collaboration spéciale

Sur la Porsche 911 GT3 Cup Car, la console disparaît pour accueillir une simple planche où sont placés les boutons permettant de contrôler divers paramètres de la voiture.