Elles commentent sans complexe la puissance du moteur qui se cache sous le capot. Elles prouvent chaque jour que le domaine des voitures n'est plus un bastion masculin. En cette Journée internationale de la femme, zoom sur quatre blogueuses qui changent le monde de l'automobile, une chronique à la fois.

Elles partagent leurs meilleures astuces, racontent leurs anecdotes au volant et réalisent les essais routiers en jupe et escarpins. Aux quatre coins du monde, des blogueuses se donnent pour mission de partager leur passion pour l'automobile aux autres femmes, démystifiant habilement ces intimidants bolides de ferraille.

«Petite, je gagnais mon argent de poche en lavant et en cirant la voiture de mon père, raconte Tara Weingarten, éditrice en chef du populaire blogue américain Vroom Girls. Il faut dire que j'ai grandi dans le sud de la Californie, un terreau fertile pour les mordus de voiture.»

Ancienne journaliste pour Time et Newsweek, elle a rédigé pendant 15 ans une chronique hebdomadaire sur les voitures, avant de lancer son propre site destiné aux femmes qui cherchent des informations sur les voitures dans un format convivial.

Également férue de voitures, LeeAnn Shattuck, fondatrice du site américain Women's Automotive Solutions, dévore tous les magazines spécialisés qui lui tombent sous la main et travaille comme consultante dans l'industrie automobile depuis 15 ans. «J'ai trop souvent vu des femmes professionnelles, ambitieuses et brillantes devenir soudainement intimidées quand elles visitaient un concessionnaire ou un garage. J'ai lancé mon site pour leur redonner le pouvoir, le respect et la confiance qu'elles méritent.»

Même constat chez Juliet Potter, directrice artistique du blogue australien Auto Chic. Si elle souhaitait initialement vendre des accessoires inédits sur son site, comme un baume pour les lèvres qui ne fond pas quand le mercure grimpe dans l'habitacle, elle a vite été inondée par les questions existentielles de ses lectrices qui ne trouvent pas de réponses satisfaisantes par les voies officielles. La quadragénaire a alors décidé de se consacrer exclusivement au partage de ses vastes connaissances sur les voitures.

Si elle provient souvent d'une lointaine passion, la vocation des blogueuses se découvre parfois par pur hasard. «Je faisais partie de ces femmes qui résumaient une belle voiture à une carrosserie brillante et à un intérieur propre, admet Clémence de Bernis, cofondatrice et rédactrice en chef du blogue français Les Enjoliveuses. Pour moi, la voiture constituait surtout un tas de soucis.»

Incapable de changer un pneu, elle se sentait comme une petite fille qui doit appeler son papa en renfort chaque fois que la voiture a un problème. Après une impressionnante série d'accidents mineurs et de situations embarrassantes, elle a décidé de s'attaquer au monde parfois hostile de l'automobile et de traiter la voiture comme un amoureux dont on a besoin, mais qu'on n'arrive pas toujours à comprendre. Après le blogue Vernis de conduire, la journaliste a inauguré le nouveau site Les Enjoliveuses, un divertissant blogue français en nomination aux Golden Blog Awards.

LeAnn Shattuck.

Ce que femme veut...

Que ce soit par choix ou par obligation, de nombreuses femmes s'intéressent maintenant aux vertus et fonctionnalités des engins motorisés, un segment non négligeable pour les fabricants. «Chaque année, seulement aux États-Unis, les femmes dépensent une somme impressionnante de 80 milliards dans le secteur automobile, indique LeeAnn Shattuck. Plus encore, elles échelonnent en moyenne leurs recherches sur 17 semaines avant de choisir leur prochain véhicule!»

Les blogueuses sont unanimes: les besoins de la gent féminine se distinguent grandement de ceux de leurs compagnons de route. La plupart des femmes se contrefichent de la puissance du moteur. Elles attachent beaucoup plus d'importance au style, au confort, à la sécurité et aux enjeux écologiques. «Elles veulent se sentir chez elles quand elles sont au volant, ce qui passe tant par les couleurs pimpantes de la carrosserie que par les courbes arrondies des voitures citadines, résume Clémence de Bernis. Les conductrices sont également sensibles aux petits gadgets, comme le parfum d'ambiance de la Citroën DS3, ou aux technologies inventives et sécurisantes des constructeurs.»

Les conséquences pour les blogueuses? Moins de bavardage technique, plus de bénéfices concrets. Les sites automobiles féminins évoquent le style de vie de leurs lectrices, tout en misant sur un esthétisme contemporain et soigné.

En France, les six filles du blogue Les Enjoliveuses sont les seules à aborder les divers sujets liés à l'automobile avec une approche aussi ludique. «Nous souhaitons vulgariser le milieu automobile, le rendre accessible à toutes, explique Clémence de Bernis. Notre ton se veut humoristique, anecdotique et résolument féminin. En revanche, sous ses airs légers, nous mettons un point d'honneur à transmettre une information sérieuse.»

En effet, même si ces blogueuses injectent une triple dose de glamour et de mordant dans cet univers qui suinte encore la testostérone, leur professionnalisme convaincrait même leurs détracteurs les plus sceptiques. «J'aime dire que Vroom Girls se compare à Motor Trend ou à Car&Driver s'ils étaient édités par Martha Stewart ou Oprah, explique Tara Weingarten. Les femmes veulent des informations fiables, mais sans le jargon automobile qui alourdit parfois le propos. Du coup, notre site est aussi solide et crédible que ceux de nos concurrents masculins. Parfois même davantage.»

Tara Weingarten.

Gagner sa crédibilité un billet à la fois

Pour la sympathique Australienne Juliet Potter, lancer un blogue sur les voitures exigeait ambition et persévérance. «J'étais la première blogueuse automobile pour femmes dans un pays imprégné par une culture fortement masculine. On se moquait de moi. J'étais carrément rejetée par l'industrie, qui snobait non seulement le marché féminin, mais aussi le web comme outil relationnel et promotionnel.»

Les anciens collègues de la journaliste Tara Weingarten se montraient également sceptiques. «Ils ne cessaient de me demander quelle était la différence entre un article sur l'automobile pour les femmes et un pour les hommes. Loin de me dissuader, le fait qu'ils ne voyaient aucune distinction me prouvait que je tenais quelque chose. Les femmes ne veulent pas lire trois paragraphes sur le système de freinage d'une voiture. Une ou deux phrases suffisent amplement.»

Le temps leur a donné raison. Personnages incontournables du secteur automobile, les blogueuses sont maintenant invitées aux essais routiers et se positionnent comme des gourous de premier plan pour mobiliser de nouvelles adeptes. Ce qui n'empêche pas ces vedettes de la Toile de ramer deux fois plus fort pour se tailler une place respectable parmi leurs pairs. «Disons que nous sommes vite remarquées durant les essais, reconnaît Clémence de Bernis. Je suis généralement la seule femme du groupe et tous les autres journalistes ont le double de mon âge! Il est parfois difficile de leur faire comprendre que je connais les voitures, même si j'en parle différemment d'eux. Nous devons gagner notre place et nous imposer devant des sites et des lecteurs qui ignorent encore qu'il est possible de rendre la voiture plus féminine.»

Le plus ardu reste cependant de créer une nouvelle communauté de femmes passionnées par les voitures. Comme les conductrices s'intéressent généralement aux voitures quand elles sont en processus de magasinage, le lectorat ne peut se comparer à celui de sites destinés aux fans inconditionnels - des hommes qui consultent les critiques peu importe leurs intentions d'achat personnelles. «La concurrence est rude devant les nombreux sites masculins, poursuit la blogueuse française. C'est un énorme travail de référencement et d'animation de réseaux sociaux.»

Ces efforts accrus en valent la peine. La preuve: les blogues automobiles au féminin attirent non seulement des conductrices avides de connaissances, mais ils recrutent de nombreux hommes dans la foulée. «Ironiquement, 50% de mes lecteurs sont des hommes, affirme LeeAnn Shattuck. Je traduis toujours les aspects techniques en implications tangibles, que ce soit sur le plan de la conduite automobile ou de la vie quotidienne des usagers. Plusieurs hommes apprécient ces critiques dépouillées de termes techniques.»

Juliet Potter.

Au bout de la route

Dans le contexte où les constructeurs automobiles sont encore dirigés par une majorité de gestionnaires en cravate, les blogueuses regrettent le fait que plusieurs d'entre eux accusent un retard dans la conquête du marché féminin. «Les acheteuses sont encore marginalisées, déplore Tara Weingarten. Tous les joueurs veulent saisir leur part du gâteau, mais sans jamais oser promouvoir leur voiture aux femmes directement. Ils sont pétrifiés à l'idée de s'aliéner le segment masculin. Je trouve terriblement insultant de penser qu'une voiture dite féminine est toujours considérée comme nuisible pour une marque!»

Chaque semaine, LeeAnn Shattuck entend aussi des clichés sur les femmes et les voitures. «Une de mes clientes a récemment fait un essai routier dans un Audi Q5. Son partenaire est allé avec elle pour le plaisir. Le vendeur a tout de suite regardé son conjoint en lui disant: «Alors, elle vous a emmené pour que vous puissiez vous occuper des chiffres?» Il ignorait alors que cette cliente potentielle était l'une des plus importantes femmes d'affaires de la Caroline-du-Nord... Inutile de vous préciser qu'il a perdu la vente.»

Selon Juliet Potter, l'industrie automobile réalise tout juste que les femmes achètent 60% des voitures neuves et influencent en fait 85% de toutes les décisions d'achat. «La multiplication des sites web et des blogues automobiles est la meilleure chose qui soit arrivée aux conductrices, car elles peuvent maintenant faire une recherche approfondie avant même de mettre les pieds chez un concessionnaire.»

Au-delà de la Toile, la demande pour des informations plus conviviales se fait sentir dans les autres médias. Forte de son succès, LeeAnn Shutters anime maintenant l'émission de radio America's Garage ainsi que la cyberémission Cruise Control Xtreme. De plus, elle est actuellement en discussion avec un producteur hollywoodien pour une émission télévisée portant sur sa passion automobile au féminin.

«Il est vrai que nous sommes toujours dans les clichés de coloris originaux et de petits moteurs quand il est question de conductrices, reconnaît Clémence de Bernis. Mais là où on se trompe, c'est que ce n'est pas parce que les femmes ne connaissent pas bien les voitures. C'est qu'elles en font un accessoire de mode vivant, amusant et original. Pourquoi ne pas sortir de la sempiternelle voiture grise au moteur vrombissant? Si les femmes peuvent enseigner quelque chose aux hommes dans le domaine automobile, c'est bien de s'amuser un peu avec leur voiture!»

Clémence de Bernis.