L'automobile est régulièrement crucifiée sur la place publique par les groupes environnementaux. Pourtant, rares sont les personnes qui n'ont jamais pris plaisir à conduire, même chez les écolos.

Pour avoir plus de crédibilité, il leur faudrait donc faire la différence entre les randonnées agréables en voiture et les moments qu'apprécient seulement les amoureux du volant les plus endurcis. En admettant que l'automobile peut procurer du plaisir, le message environnementaliste serait plus crédible. Et pourrait probablement convaincre davantage de personnes de moins utiliser leur voiture.

C'est l'approche iconoclaste que propose un professeur de philosophie londonien dans un livre et des interventions médiatiques récentes. Selon Iain Borden, de la faculté d'architecture du University College de Londres, la meilleure manière de convaincre les automobilistes de prendre les transports en commun pour aller au travail est de leur vanter les mérites des randonnées automobiles dominicales.

 

«Quand l'automobiliste moyen voit les dénonciations tous azimuts de la voiture et du stress de la conduite, il ne peut les prendre au sérieux, explique M. Borden en entrevue depuis l'Angleterre. Oui, les embouteillages sont embêtants. Mais rouler la nuit après un bon repas, ou un samedi matin sur une route de campagne, sont autant de situations agréables qui ne peuvent être conciliées avec l'opprobre écologiste. Alors les gens décrochent et n'écoutent plus les environnementalistes.»

Le changement sur quatre roues

M. Borden en est arrivé à sa position au terme d'une réflexion sur l'apport de l'automobile à la culture moderne. Au lieu de ne s'arrêter qu'aux effets négatifs, il a tenté de voir si le bitume avait du bon. «Au départ, les partisans de l'automobile avaient sincèrement le sentiment de contribuer au progrès de l'humanité, de donner à la classe moyenne une liberté sans précédent. L'incidence sur l'art a aussi été positive: les cinéastes allemands de Weimar ont beaucoup joué sur le décalage entre le tempo des piétons et celui des voitures.»

Peu à peu, le philosophe britannique en est venu à accepter que l'automobile avait eu des effets positifs sur les villes. «Certes, on ne peut pas dire que le bilan est nettement favorable. Mais il ne faut pas non plus nier que l'automobile a promu des changements intéressants, comme la ville de Radburn, au New Jersey, où ont été inventés les premiers culs-de-sac résidentiels protégeant les enfants qui jouent dans la rue. C'est grâce à l'automobile qu'on voit maintenant l'espace comme un signifiant: quand on circule en voiture, on voit les panneaux-réclames, on voit la succession des paysages, des villes, des monuments. L'iconographie a cessé d'être limitée par la mesure de l'homme. À pied, on a le temps d'oublier entre chaque point fort. Le paysage devient un discours beaucoup plus soutenu grâce à l'automobile.»

M. Borden cite aussi les tours résidentielles de Marina City, à Chicago, dont les premiers étages sont «troués» parce qu'il s'agit des garages. «Visuellement, c'est très intéressant. Sans la voiture, ça aurait été un gaspillage inacceptable d'espace.»

La mise en relief de ces éléments positifs de la conduite automobile devrait aider à changer les moeurs dans une direction plus écologiste, selon M. Borden, qui a publié sa thèse pour la première fois dans un chapitre du livre The Politics of Making.

«Au fond, la plupart des gens seraient contents de ne conduire que pour le plaisir, pas par obligation, surtout pas dans le trafic. Je pense que les messages trop négatifs les mettent sur la défensive, ils s'accrochent mordicus à leur voiture, même au prix d'embouteillages quotidiens. Et puis, comment voulez-vous qu'une personne qui semble détester conduire soit crédible quand elle donne des conseils aux automobilistes?»