La parole de Nelly Arcan va vibrer de nouveau avec le retour attendu de La fureur de ce que je pense, à l’Espace Go, à compter de ce mardi. Interprètes lors des premières représentations, il y a presque 10 ans, Christine Beaulieu et Sophie Cadieux retrouvent leurs rôles, avec une conscience aigüe des effets du temps qui passe.

Revêtir de nouveau les habits de Nelly n’est pas anodin pour celles qui étaient de l’aventure en 2013. « Il faut redécouvrir ce texte dans nos corps de quarantenaires, revisiter avec lui l’obsession actuelle pour la jeunesse, explique Sophie Cadieux. Nous sommes toutes des filles qui avons survécu à Nelly [qui s’est donné la mort à 36 ans]. »

Collage pour la scène de textes de l’autrice, La fureur de ce que je pense rassemble sur les planches sept actrices, dont six étaient de la distribution originale : Evelyne de la Chenelière, Johanne Haberlin, Julie Le Breton, Anne Thériault, Christine Beaulieu et Sophie Cadieux. La seule nouvelle venue est Larissa Corriveau, en remplacement de Monia Chokri.

« Nos corps ont changé, le passage impitoyable du temps a sévi sur nous, poursuit Sophie Cadieux. Or, nous serons sur scène dans les attributs de la jeunesse, avec nos robes clinquantes et nos talons hauts. Nos corps encore à vendre, à regarder, à ausculter… Est-ce que le désir est encore possible pour ces corps qui approchent la cinquantaine ? Il y aura peut-être une résonance autre pour le public. »

« Avec tous les mouvements féministes qu’on a connus dans les dernières années, j’ai aussi bien hâte de voir quel impact aura ce texte sur une nouvelle génération », dit celle qui a mis en branle ce projet, avec la metteuse en scène Marie Brassard.

PHOTO CAROLINE LABERGE, FOURNIE PAR L’ESPACE GO

Christine Beaulieu (à droite) retrouve le rôle qu’elle défendait il y a 10 ans.

Chose certaine, les mots de Nelly Arcan trouvent un écho différent chez celles qui incarnent les multiples facettes de l’écrivaine, chacune isolée dans une des petites boîtes qui divisent l’espace scénique. « La parole de Nelly ne vieillit pas, elle reste très bouleversante, mais elle résonne en moi avec plus de complexité et de profondeur, estime Christine Beaulieu. Dans la pièce, j’incarne la Nelly qui aurait souhaité être un garçon, comme s’il y avait eu une erreur à sa naissance. »

Toutes les questions que Nelly avait autour de la gestation m’interpellent beaucoup plus aujourd’hui qu’il y a 10 ans. C’est très complexe pour moi de m’imaginer enceinte et ce sillon s’est creusé dans les 10 dernières années.

Christine Beaulieu

« Les thèmes abordés par Nelly prennent un autre sens pour moi après l’arrivée de la quarantaine et la maternité, indique quant à elle Sophie Cadieux. Il y a quelque chose à propos de la juvénilité qui me colle à la peau depuis toujours. Or aujourd’hui, quand je cite Nelly qui dit “il ne faut pas vieillir, surtout pas”, je le comprends différemment. Et l’œuvre de Nelly est tellement riche qu’on y trouve de nouveaux sens à chaque relecture. »

PHOTO MICHAEL SLOBODIAN, FOURNIE PAR L’ESPACE GO

Collage pour la scène de textes de l’autrice, La fureur de ce que je pense rassemble sur les planches sept actrices.

Dans la pièce, la partition de Sophie Cadieux s’attarde surtout à l’image corporelle, véritable obsession pour la femme qu’était Nelly Arcan. « Elle était très précurseure dans ses propos, estime l’actrice. Ce qu’elle abordait, on en parle maintenant dans les médias de masse. Nelly semblait extraterrestre lorsqu’elle abordait des sujets comme le male gaze, le fait de devoir être validé par le regard de l’autre, en particulier à une époque où les médias sociaux n’existaient pas. »

Le miroir de la salle de bains de Nelly est devenu le miroir de tous nos téléphones cellulaires et nos réseaux sociaux, auquel la multitude des femmes est confrontée, de la jeunesse à la vieillesse.

Sophie Cadieux

PHOTO CAROLINE LABERGE, FOURNIE PAR L’ESPACE GO

Sophie Cadieux espère que la pièce trouvera écho chez une nouvelle génération.

Dans La fureur de ce que je pense, chaque actrice doit défendre une partition très exigeante physiquement. « C’est certain que je suis plus essoufflée à la fin de mon monologue, lance Christine Beaulieu. Toutefois, je suis plus détendue dans tout ça. J’en ai parlé avec d’autres actrices et nous avons réalisé que nous sommes moins complexées maintenant par nos corps que lorsque nous étions dans la trentaine. Par exemple, je dois porter sur scène ce chemisier transparent qui était très difficile à assumer à l’époque. Aujourd’hui, ce n’est plus un enjeu. »

« C’est étrange ce qui s’opère en moi, poursuit-elle. Il y a une libération par rapport à mon corps qui est partagée par plusieurs autres femmes aujourd’hui. Si Nelly était restée en vie, est-ce qu’elle aurait pu elle aussi atteindre cette libération par rapport à son corps ? Peut-être qu’aujourd’hui, elle trouverait dans notre monde la place qu’elle n’a pas pu trouver de son vivant. C’est troublant d’y penser. »

La fureur de ce que je pense est présentée jusqu’au 3 décembre à l’Espace Go, puis du 8 au 10 décembre au Diamant, à Québec.

Consultez le site de l’Espace Go