Pas perdus | documentaires scéniques, d’Anaïs Barbeau-Lavalette et d’Émile Proulx-Cloutier. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, jusqu’au 2 avril. Supplémentaires les 19 et 22 mars ainsi que le 2 avril. Quatre étoiles.

La réalité dépasse souvent la fiction, on le sait. Ce qu’on oublie parfois, c’est que dans la réalité, chaque vie cache des histoires tendres, tristes ou gaies qui ne demandent qu’à être racontées à ceux qui tendent l’oreille.

Pour Pas perdus, volet final de leur triptyque de documentaires scéniques présenté au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier ont posé leur loupe sur l’existence de huit personnes en apparence disparates, mais dont le destin est intimement lié. Une orthophoniste, un passionné de jeux vidéo, une étudiante en soins infirmiers, un artisan qui tisse des raquettes, un autre qui coud des porte-bébé…

Ces huit hommes et femmes d’origines et d’âges distincts se sont confiés à Anaïs Barbeau-Lavalette, qui a capté sur le vif des dizaines d’heures d’enregistrements audio. Les créateurs ont extrait de cette foisonnante récolte de témoignages la trame narrative du spectacle, tissant du même coup une courtepointe profondément humaine sous laquelle il fait bon se glisser. Surtout en ces temps périlleux où l’humanité est malmenée et où la proximité à l’autre doit être apprivoisée de nouveau.

Comme pour les précédents documentaires scéniques Vrais mondes (2014) et Pôle Sud (2016), les protagonistes viennent reproduire sur scène les gestes petits et grands de leur quotidien, pendant que leurs voix résonnent dans la salle, se fissurent sous l’émotion ou cascadent dans de grands éclats de rire.

Des personnages uniques

Ce qu’ils racontent, nous le tairons, pour ne pas trop en dévoiler sur le lien étonnant qui les unit. Mais chacun, dans son unicité, réussit à nous émouvoir, nous faire rire, nous faire réfléchir. Ensemble, ils nous forcent à nous interroger sur notre rapport à la mémoire et à l’histoire, le tout sous l’œil bienveillant d’Anaïs Barbeau-Lavalette. Cette dernière reste sur scène pendant toute la durée de la pièce pour rassurer par sa seule présence tous ces non-comédiens venus se dévoiler sur les planches.

C’est d’ailleurs grâce à l’immense capacité d’écoute d’Anaïs Barbeau-Lavalette que les trois documentaires scéniques, tous très poignants, ont pu voir le jour.

On le réalise rapidement dans Pas perdus : la cinéaste et autrice a accueilli tous ces récits avec le cœur grand ouvert, sans jugement ni a priori. Elle guide ainsi chaque spectateur vers cet état d’ouverture qu’il fait si bon fréquenter.

À la mise en scène, Émile Proulx-Cloutier a réussi à ajouter une belle dose de poésie avec des projections vidéo d’une grande beauté (signées Marielle Dalpé) et une conception d’éclairage (Mathieu Roy) qui jouent habilement avec les silhouettes de Dominic, Yaëlle, Réal et les autres. Dans cet espace scénique presque dénudé, la vie peut jaillir de tous les côtés. Les gestes tout simples sont magnifiés, retrouvant un côté sacré.

L’humanité, lorsqu’elle est si bien racontée, est plus belle que ce qu’en disent les nouvelles. Et l’espoir trouve un terreau pour renaître. Enfin.

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