Ce n'est pas tous les jours qu'on se hasarde à monter cette tragédie de Jean Racine écrite en alexandrins il y a 350 ans! Une partition exigeante tant pour les acteurs, qui doivent maîtriser ce texte hyper dense afin de pouvoir l'interpréter, que pour les spectateurs, qui reçoivent en rafales les quelque 1800 vers d'intrigues politiques et amoureuses.

La dernière fois que le TNM s'était frotté au dramaturge français, c'était il y a 25 ans, avec la pièce Andromaque. C'est vous dire...

Il y a eu, ailleurs, des adaptations. Steve Gagnon, par exemple, a situé l'action de son Britannicus hyper sexuel dans un commerce familial, tandis que Marilyn Perreault a choisi le cadre d'une école privée pour camper deux bandes de filles rivales. Mais jouer le texte intégral de Racine est périlleux. Un défi que le metteur en scène Florent Siaud relève ici grâce à une distribution étoile.

Redoutable duo mère-fils

D'abord le contexte. L'empereur Néron est à la tête de Rome. Mais il doit sa couronne à sa mère Agrippine qui, par d'habiles manipulations, lui a permis d'accéder au pouvoir - au détriment de Britannicus, fils biologique de l'empereur Claude et héritier légitime du trône. À l'époque, Néron est si jeune (et insouciant) que c'est elle qui gouverne à travers lui... Le hic, c'est que le jeune empereur grandit. Et il est las de jouer les pantins.

Francis Ducharme, en Néron dandy et mégalomane, est le sel de cette production.

À la fois fragile, capricieux, impulsif, sensuel, provocateur et colérique, il traduit parfaitement le sentiment de révolte qui habite son personnage.

Son Néron, déterminé à s'affranchir de sa mère (malgré la peur qu'elle lui inspire encore), prendra d'ailleurs un malin plaisir à faire tout ce qui bouscule l'ordre établi.

Sylvie Drapeau, qui interprète le rôle d'Agrippine, est l'autre pilier de Britannicus. En constant état d'alerte, la comédienne bondit tel un fauve sur ce fils ingrat, qui veut affirmer seul son pouvoir. Durant leur premier échange (qui survient une heure après le début de la pièce), elle parvient à établir, assez magistralement, qu'elle est toujours la souveraine.

Mais comme il s'agit d'une tragédie, le dessein tyrannique de Néron s'accomplira, dans le sang, l'empereur étant déterminé à éliminer son demi-frère Britannicus et à lui voler son amoureuse Junie.

Éric Robidoux est convaincant dans le rôle de Britannicus (qui, contrairement à ce que pourrait laisser croire le titre de la pièce, n'est pas un rôle de premier plan), même s'il finit par nous donner le tournis à force d'aller et venir sur scène, l'air inquiet. Évelyne Rompré, dans le rôle de son amoureuse Junie, est crédible et touchante dans son désespoir.

Maxim Gaudette, Marie-France Lambert et Marc Béland complètent cette valeureuse équipe, qui fait montre d'une belle cohésion.

Y'a les mots

Au fil de ces intrigues politiques, les personnages de Racine s'affrontent avec les mots, qui sont autant d'épées que de poignards. Le Britannicus de Florent Siaud repose donc essentiellement sur ces combats verbaux, livrés par des acteurs qui savent manipuler ces armes.

Dans ce contexte, sa mise en scène est relativement sobre. Peut-être un peu statique par moments. La scène du bain de l'empereur est l'heureuse exception.

L'immense structure dorée qui se déploie à mesure que l'intrigue suit son cours fait son effet, évoquant tantôt les riches palais italiens, tantôt un échiquier où se jouent les destinées de l'empire. Les projections des personnages, qui partagent leurs états d'âme, sont aussi bienvenues.

Quelques bémols. D'abord, la musique d'ambiance, constante, avec des pointes anxiogènes, s'avère irritante et inutile. Musicalement, seule la scène du banquet censé réconcilier les deux frères marque les esprits. Quant aux (trop) nombreuses notes biographiques des personnages (sous forme de projections), elles ne sont pas nécessaires. Un choix didactique qui alourdit la pièce ; le spectateur aurait pu se contenter de lire son programme.

N'empêche, Florent Siaud relève tout un défi en reprenant ce texte de Racine, qui raconte «les premiers instants d'un monstre naissant». Un récit qui demeure très actuel quand on pense aux «empereurs» d'aujourd'hui et à toutes leurs dérives.

* * * 1/2

Britannicus. De Racine, dans une mise en scène de Florent Siaud. Avec Marc Béland, Sylvie Drapeau, Francis Ducharme, Éric Robidoux Évelyne Rompré. Au TNM jusqu'au 20 avril.

PHOTO YVES RENAUD, FOURNIE PAR LE TNM

Sylvie Drapeau et Marie-France Lambert dans Britannicus