La télé québécoise n'aime pas la pauvreté. Ne montre pas la pauvreté. Fait comme si la pauvreté n'existait pas. La télé québécoise aime les beaux logements, les bureaux propres et lisses, les lofts design, les galeries chics et branchées. Et puis, une fois tous les 100 ans - j'exagère -, la télé québécoise ouvre sa porte, ses yeux, son coeur et sa plateforme web au monde de la pauvreté.

C'est ce que TV5 a fait il y a deux ans en acceptant de financer une série web tournée dans Hochelaga-Maisonneuve et mettant en scène une faune colorée et multipoquée sur fond de pauvreté, de toxicomanie, de violence, de maladie mentale et parfois aussi d'appétit de vivre. Ainsi naquit Écrivain public, une websérie glorieusement atypique, qui revient pour une deuxième saison sur la plateforme numérique de TV5 avant une diffusion télé.

L'écrivain public, comme vous l'avez lu dans La Presse en 2014 sous la plume de ma collègue Katia Gagnon, c'est Michel Duchesne, un auteur, réalisateur et «multitâchiste» du monde culturel.

À l'été 2014, il a écrit et produit la comédie musicale Catnip avec Joe Bocan dans le rôle principal, une aventure périlleuse et ratée qui lui a laissé une dette de 50 000 $ sur le dos.

En attendant que ses projets télé débloquent et que l'argent rentre, Duchesne a répondu à une annonce de la Ville de Montréal pour un poste d'écrivain public dont la mission serait d'aider les analphabètes d'un centre communautaire d'Hochelaga-Maisonneuve. Le salaire à 12,50 $ l'heure n'était pas faramineux. «Mais ça me permettait de payer le loyer et de passer du futile à l'utile et d'avoir une certaine prise sur le réel en aidant des gens démunis à rédiger des lettres ou à lire celles qu'ils recevaient», raconte Michel Duchesne dans un bistro d'Outremont, à un coin de rue de l'école Paul-Gérin-Lajoie, où il a été engagé comme artiste en résidence jusqu'en juin.

Duchesne a sévi comme écrivain public dans Hochelaga-Maisonneuve pendant environ un an, ce qui est peu de temps. Reste que sur le plan humain, il en a retiré l'expérience de toute une vie ainsi que du matériel pour un livre, puis pour la websérie.

Succès d'estime et myriade de prix

TV5 est la seule télé qui a voulu prendre le risque de financer un projet dont les thèmes - pauvreté et analphabétisme - n'avaient rien de sexy même s'ils étaient douloureusement d'actualité. En contrepartie, les budgets alloués aux neuf épisodes de huit minutes chacun étaient aussi pauvres que les personnages de la série. La série a, malgré tout, remporté un succès d'estime et une myriade de prix : un Gémeaux, un Numix, le prix spécial des droits de l'homme de Bilbao, le Coup de coeur de Liège et un prix à Marseille pour l'émouvante interprétation d'Emmanuel Schwartz dans le rôle de Mathieu Martineau, l'écrivain public, qui s'est mis en tête de sauver le pauvre monde, une lettre à la fois.

«Cette série, c'est avant tout un hommage aux gens du communautaire qui sont payés des salaires de misère pour s'occuper des plus poqués de la société et qui sont eux-mêmes condamnés à vivre dans une extrême précarité sans jamais savoir si leur subvention sera reconduite d'une année à l'autre», s'indigne Michel Duchesne, qui croit que tous les artistes devraient, à un moment ou l'autre de leur vie, sortir de leur zone de confort et aller voir comment ça se passe vraiment dans le communautaire, mais aussi dans les hôpitaux et les écoles, histoire de se connecter aux vraies réalités de leur société.

«Il y a des listes d'attente partout, y compris pour les centres de femmes battues, ce qui est aussi inacceptable qu'absurde. Les gens sont abandonnés à eux-mêmes. Comme artiste et comme citoyen, ça change ta perspective de prendre conscience de ces injustices-là.»

PHOTO OLIVIER JEAN, archives LA PRESSE

L'écrivain public de la série du même nom, c'est Michel Duchesne, auteur, réalisateur et multitâchiste du monde culturel.

La deuxième saison d'Écrivain public est aussi touchante que la première, mais plus longue (25 minutes par épisode) et donc plus riche dramatiquement. On y retrouve les mêmes personnages : la joyeuse Jojo (Sandrine Bisson), déficiente intellectuelle qui rêve de déménager du trou à rats où elle vit et où elle se fait régulièrement agresser par son voisin, le sympathique Conrad (Denis Houle), qui souffre d'un cancer du poumon, Mina (Louise Bombardier), la fausse riche, mais vraie analphabète fonctionnelle, M. Hautcoeur (Luc Senay), le directeur du centre communautaire autoritaire qu'on n'arrive pas à détester, et son bras droit, la vaillante Sophie (Ève Duranceau), toute une galerie de personnages plus vrais que nature, interprétés avec humanité par des acteurs de talent qui sont probablement payés le quart du salaire de leurs confrères qui jouent à la télé.

Une série sur la pauvreté tournée dans la pauvreté, voilà le lot d'Écrivain public. C'est ainsi que des scènes essentielles de la deuxième saison ont été sacrifiées. Je pense à la scène où Mathieu accompagne un ouvrier immigrant au palais de justice. Faute de moyens, on ne verra ni la cour ni le juge qui lui donne raison. Idem pour les scènes où Conrad voit sa fin approcher à l'hôpital.

Compte tenu de la qualité de la mise en scène d'Éric Piccoli, des textes et du jeu des acteurs, compte tenu de la force dramatique et de la charge émotive de cette série, c'est triste qu'elle n'ait pas eu les moyens de ses ambitions. Mais ne perdons pas espoir. Un jour, la télé québécoise va peut-être se réveiller et se tourner vers des univers comme ceux d'Écrivain public, là où il y a autant, sinon plus, de richesse et de vie qu'ailleurs.

Photo fournie par les Productions Babel

Ariane Castellanos et Emmanuel Schwartz dans Écrivain public