Il y avait de la bagarre, hier dans le village de Sainte-Adèle, où les bleus de John J. Ross n'étaient pas du tout d'humeur à accueillir, rue Principale, la charrette libérale rouge des partisans d'Honoré Mercier.

« C't un comté bleu, icitte. Débarrassez-moi de ces rouges-là ! », hurle un personnage avant que l'échauffourée n'éclate entre une bonne douzaine d'hommes aux vêtements élimés et sombres.

Soudain, les coups pleuvent ! On se frappe à qui mieux mieux à coups de poing, à coups de pied et même avec des morceaux de bois. Les hommes hurlent, s'agrippent, tombent et roulent dans la petite rue de terre rendue boueuse par les averses du matin. Même le curé Labelle, pas d'humeur à enseigner la parole du Christ, « bénit » quelques quidams avec ses poings massifs.

« Freeze ! », s'époumone le réalisateur Sylvain Archambault avant de préciser un détail et de relancer la scène aussi vite qu'elle s'est arrêtée. Quelques minutes plus tard, entre deux prises, il balance ses instructions de sa voix forte : « On va salir un peu la soutane. Honoré Mercier, remonte sur la carriole. Les photographes, tassez-vous, bye ! »

Indifférents à l'agitation des dizaines d'acteurs, techniciens et représentants des médias, les chevaux de plateau mâchouillent leur foin sans relever la tête.

Et on enchaîne...

Bienvenue dans Les pays d'en haut, version XXIsiècle de l'oeuvre de Claude-Henri Grignon dont le scénariste Gilles Desjardins (Musée Éden, Mensonges) et Sylvain Archambault (Les Lavigueur, Piché entre ciel et terre) ont fait une relecture très moderne.

Moderne en ce sens qu'elle est exempte de misérabilisme et d'expressions surannées et que l'interprétation des faits et de l'histoire de la colonisation des Laurentides se veut beaucoup plus près de la réalité de l'époque.

« Il reste très peu de choses de la série originale. On respecte le texte, l'histoire originale de M. Grignon, mais Gilles Desjardins a modernisé l'ensemble par son côté cru, une certaine violence, l'hostilité des gens entre eux. 

« Ce qu'on proposera aux téléspectateurs est un western enlevant, un thriller. Avec des meurtres à élucider, etc. », explique le réalisateur Sylvain Archambault. 

Gilles Desjardins insiste aussi sur cette mission, cruciale à ses yeux, de redonner à l'histoire son fond de vérité.

« M. Grignon était un génie des personnages, des archétypes. Il arrivait à décrire en trois ou quatre lignes des personnages que personne ne pouvait oublier. Mais sa version de la colonisation était une vision personnelle de l'histoire, très conservatrice et ne correspondant pas à la réalité. »

DEUX EXEMPLES

Parmi bien d'autres, deux des personnages illustrent parfaitement cette volonté.

D'abord, le curé Labelle était animé par le désir de prendre le territoire, de le peupler, de battre les colons anglais. Ce n'était pas avec lui qu'on naissait pour un petit pain.

« La quête du curé Labelle, c'était le chemin de fer, dit le réalisateur. Qui dit train dit marchandises, modernité, électricité, etc. C'était son combat perpétuel, à la fois pour améliorer la vie des gens et développer le Québec, en faire une nation. »

« Les idées du curé Labelle étaient à ce point modernes que cent ans plus tard, nous n'étions pas arrivés à faire ce qu'il voulait réaliser », dit Gilles Desjardins.

Le rôle de Donalda, interprété par Sarah-Jeanne Labrosse, fait aussi contraste avec celui que défendait Andrée Champagne.

« Il existe des lettres que le cardinal Léger a envoyées à Grignon pour lui rappeler chaque semaine de bien faire attention à ce que Donalda soit un bon exemple de soumission pour les Canadiennes françaises, dit l'auteur. C'est une torsion de la réalité. Parce que des femmes soumises dans le Nord, il n'y en avait pas. Elles ne survivaient pas. Elles devaient être capables de prendre leur place. »

« Cette Donalda est une femme forte, vaillante, courageuse et à la recherche de solutions. Elle ne se "victimise" jamais », dit Sarah-Jeanne Labrosse à propos de son personnage.

Quant à Séraphin, qu'incarne Vincent Leclerc, Gilles Desjardins s'intéresse davantage aux causes l'ayant conduit à devenir avare et assoiffé de pouvoir qu'à sa personnalité. Bref, il a voulu le connaître en amont de ce qu'il était dans l'oeuvre de Grignon.

Paul Doucet interprète quant à lui un Arthur Buies à la fois doué d'une grande érudition et d'un esprit contestataire aigu. « C'était un pamphlétaire, un auteur et un grand anticlérical, lance Doucet. Il est le secrétaire du curé Labelle et a le don de se mettre les pieds dans les plats avec ses prises de position. »

Le curé Labelle ? « Le roi du Nord, dit son interprète Antoine Bertrand. Lorsqu'il arrive à un endroit, il faut qu'il en impose. Et la soutane parle beaucoup pour lui. Ce vêtement pourrait être à lui seul une force tranquille, mais ce n'est pas le cas de l'homme. Comme vous l'avez vu aujourd'hui, mon curé n'est pas du genre à tendre l'autre joue. »

SUPERBES DÉCORS

Cela dit, les lieux extérieurs du tournage sont magnifiques. Installé dans l'ancien village Canadiana, à Rawdon, fermé depuis quelques années, le plateau recrée un tout petit village dont l'authenticité nous plonge aisément 140 ans en arrière.

Dans cette rue Principale que traversent les carrioles aux roues de bois transportant des sacs de jute, le magasin général regorge de conserves, de médicaments et d'outils surannés, des lampes à l'huile sont accrochées aux portes des maisons et les couleurs des affiches électorales sont parfaitement décolorées.

« Le village existait, mais l'équipe de direction artistique a travaillé très fort. J'avais beaucoup d'exigences, et chaque fois, elles ont été dépassées », dit Sylvain Archambault.

La première saison, qui sera diffusée l'hiver prochain à Radio-Canada, comprend 10 épisodes. Une deuxième saison a déjà été commandée. Reste à voir, dans un demi-siècle, si cette deuxième mouture aura la couenne aussi dure que la première.

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

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