C'est une longue histoire d'amour qui unit Marie-Thérèse Fortin à l'écrivaine Gabrielle Roy. La comédienne, qui incarnait jusqu'à tout récemment Claire Hamelin dans Mémoires vives, rêvait déjà de mettre en lecture La détresse et l'enchantement lorsqu'elle était étudiante au Conservatoire de Québec, au début des années 80.

Elle avait été bouleversée à la lecture de l'autobiographie de l'écrivaine.

«Déjà, à l'époque, j'avais le sentiment qu'il fallait faire quelque chose avec ce texte. J'avais tellement l'impression de comprendre ce dont Gabrielle Roy parlait.»

Grâce à une bourse, la jeune femme originaire de la Gaspésie avait pu présenter une lecture publique à la Quinzaine de Québec. Puis elle avait rangé le texte dans un tiroir.

Près de 30 ans plus tard, en 2009, la directrice du Festival international de littérature, Michèle Corbeil, demandait à Olivier Kemeid de monter quelque chose autour de Gabrielle Roy pour souligner son 100anniversaire de naissance. 

«J'étais directrice du Théâtre d'Aujourd'hui à ce moment-là, raconte Marie-Thérèse Fortin. Olivier connaissait ma passion et m'a forcée à sortir le texte de mon tiroir. On a présenté un spectacle qui a bien marché, mais ça demeurait une lecture. Cette fois-ci, quand j'ai vu que le tournage de Mémoires vives allait se terminer, je me suis dit: c'est le temps, je le fais.»

Trouver sa voie

Dans La détresse et l'enchantement, Gabrielle Roy raconte sa vie, de son enfance à la mi-trentaine (elle est morte avant de pouvoir en écrire la suite). Le récit s'arrête au moment où elle s'installe à Montréal après un voyage en Europe, à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

«Gabrielle raconte entre autres comment elle est venue à l'écriture, ce quelle a dû traverser pour en arriver là, note Marie-Thérèse Fortin. Elle parle de son rapport avec sa mère, avec qui elle forme presque un couple. C'est la figure tutélaire de son enfance, celle qui lui a transmis l'histoire de la famille, le pouvoir de l'imaginaire, le besoin de la liberté...»

«Gabrielle Roy vient d'un milieu très pauvre et c'est cette misère dont elle est issue qu'elle veut dépasser et qu'elle cherche à venger. Elle est comme une enfant qui veut racheter quelque chose. Ça m'a touchée profondément.»

La comédienne voit aussi dans l'émancipation de l'écrivaine un parallèle avec la marche des francophones en Amérique du Nord, «cette relation qu'on entretient avec le reste du continent et dont on n'a pas encore trouvé le fin mot», observe-t-elle. «Rien n'est acquis, tout est toujours remis en cause, tout est en péril. Gabrielle Roy n'aborde pas ces questions dans un esprit de revendication, mais bien dans une volonté de comprendre, dans une quête de sens.»

Une voix forte

Non seulement Marie-Thérèse Fortin ne s'est pas lassée du texte de Gabrielle Roy, elle en a aussi découvert d'autres facettes au fil du temps. 

«Maintenant que je suis une mère de deux jeunes adultes et que j'ai une jeune femme à la maison qui a à peu près l'âge de Gabrielle quand elle quitte sa famille, je comprends mieux ce rapport à la maternité, qui peut parfois être étouffante et en même temps complètement dévouée. Gabrielle Roy essaie de ménager la femme qu'est sa mère et les sacrifices qu'elle a faits tout en voulant s'affranchir. En ce sens, elle n'est pas du tout au même endroit que les féministes des années 70 qui rejetaient ces figures maternelles castratrices et éteignoirs.»

La comédienne, qui a dû apprendre 50 pages de texte par coeur en vue de cette performance, estime que l'écrivaine n'a pas toujours été comprise à sa juste mesure. «On la disait traditionnelle, mais elle était très moderne», croit-elle.

«Gabrielle Roy est la première à écrire sur le milieu ouvrier à Saint-Henri. Elle est urbaine aussi. Mais ce n'est pas une auteure de la rupture. Elle réfléchit au pour et au contre, c'est rare qu'elle va s'opposer. Elle a toujours fait preuve d'un grand humanisme et d'une grande profondeur.»

À l'heure de #moiaussi, des crises identitaires, des réseaux sociaux et de la mondialisation des enjeux, pourquoi mettre en scène Gabrielle Roy aujourd'hui ? Marie-Thérèse Fortin s'est bien sûr posé la question. 

«Je crois qu'à sa manière simple et profonde, elle fait appel à des questions qui restent entières dans notre histoire. Mais c'est vrai que c'est un pari. Je vais peut-être me rendre compte qu'il y a juste moi qui trippe là-dessus [rires].

«Sérieusement, je suis convaincue que c'est une parole importante qu'on doit réentendre. Je pense qu'il faut ramener la parole de Gabrielle Roy comme on doit ramener celle d'Anne Hébert, de France Théorêt, de Nicole Brossard, de Marie-Claire Blais... On a un devoir, nous les filles, de se réapproprier et de ramener à l'avant ces paroles fondatrices de notre histoire et de notre culture.»

On pourra voir Marie-Thérèse Fortin dans La détresse et l'enchantement au TNM du 27 février au 10 mars. Le spectacle sera présenté l'automne prochain au Théâtre du Trident à Québec.