Le baryton québécois Jean-François Lapointe a récemment tenu l'affiche d'une production de Carmen de Bizet à l'opéra de Marseille. Un engagement important qui a inauguré une saison faste pour le chanteur, dont l'emploi du temps, en Europe, est particulièrement bien rempli.

Si sa feuille de route est impressionnante, c'est néanmoins dans une discrétion toute relative que Jean-François Lapointe mène son exceptionnelle carrière, plutôt à l'ombre des projecteurs et du star-système de l'opéra. Et pourtant, à Paris comme à Amsterdam, Barcelone ou Bruxelles, on célèbre l'adéquation évidente de sa voix et de sa personnalité aux grands rôles du répertoire français, rôles qui lui permettent de briller sur quelques-unes des plus prestigieuses scènes lyriques du Vieux Continent.

À Marseille, la semaine dernière, il régnait une ambiance agréable, bonhomme («méditerranéenne», serait-on tenté d'ajouter) et dès l'entrée en scène du valeureux toréador Escamillo, au second acte, le courant passait entre Lapointe et le public de la maison, peu avare d'affection pour un artiste qui lui est remarquablement fidèle.

C'est sur ces mêmes planches qu'il campait, l'année dernière, un Don Juan mozartien salué par le public et la critique, avant d'y offrir le truculent Rimbaud du Comte Ory rossinien, quelques mois plus tard. Il y sera de nouveau en 2013 pour la rarissime Cléopâtre de Jules Massenet, opus méconnu qui le verra partager la scène avec une autre Québécoise, la soprano Kimy McLaren.

Charisme

Au-delà d'une polyvalence manifeste, d'un physique plus qu'avantageux, d'un charisme remarquable et d'une indéniable maturité artistique, le parcours récent et les projets du chanteur dessinent une forme de constante. Escamillo, puis Zurga, des Pêcheurs de perles, du même Bizet, le marquis de la Force dans Les dialogues des Carmélites de Poulenc à Toronto, après un retour attendu à l'Opéra Comique à Paris: c'est avant tout dans sa langue maternelle que l'on veut entendre chanter Jean-François Lapointe, un peu partout dans le monde.

À ce titre, une rare incursion chez les Italiens (le père Germont dans La Traviata de Verdi, à Francfort) semble être l'exception qui confirme la règle. La langue française est loin d'être facile à apprendre et à maîtriser, encore moins à chanter.

Sur la très cosmopolite et globalisée planète-opéra, les qualités de diction que l'on retrouve souvent chez les chanteurs québécois les rendent pratiquement incontournables.

Dans les moments les plus tendus de l'oeuvre, tout comme dans les passages les plus délicats, Lapointe chante et projette le texte clairement, avec précision et souplesse, non sans un certain mélange presque paradoxal d'élégance et de robustesse. Paradoxe qui, dans ce cas précis, si l'on peut supposer qu'il soit cultivé à la fréquentation assidue de la mélodie et du lied allemand, est bien l'un des mystères de son art et, de façon plus générale, du métier de chanteur d'opéra.