On n'a pas fini de redécouvrir Romain Gary. Les sujets des romans de l'auteur français - surtout ceux écrits dans les années 70, sous le pseudonyme d'Émile Ajar - sont toujours actuels. Ils abordent l'isolement des métropoles modernes et multiethniques, le métissage urbain: Madame Rosa pratiquait déjà les accommodements raisonnables dans La vie devant soi... sans le savoir. Bien avant l'apparition des réseaux sociaux, Gary dépeint la difficulté de ses contemporains à se lier aux autres, malgré la technologie qui facilite la communication.

C'est le thème de l'isolement qui a touché Pascal Contamine dans Gros-Câlin. À la salle Fred-Barry, l'acteur a adapté et mis en scène un spectacle solo d'après ce premier roman signé Émile Ajar, en 1974. Le comédien pénètre littéralement dans la peau du personnage principal, Michel Cousin, un statisticien marginal et solitaire qui vit dans un deux et demi à Paris, et qui trouve chez les putes son seul vrai contact humain. Il dit d'ailleurs: «J'avais tellement besoin d'étreintes amicales que j'ai failli me pendre!»

Alors, durant un séjour en Afrique, il se procure un python de deux mètres de long qu'il va baptiser Gros-Câlin, à cause justement des étreintes qui lui manquent tant. Cette bête sera bien sûr l'objet de ragots, de suspicions et de malentendus qui font le charme de ce récit à la fois drôle et touchant.

Solitaire et attachant

Dans un décor qui évoque le modeste logis du statisticien et une salle de conférence - conçu par Fruzsina Lanyi -, Pascal Contamine s'adresse parfois directement aux spectateurs, ou encore il joue des scènes en prêtant sa voix à différents personnages. Les lieux - le bureau, un ascenseur, une église, un commissariat - sont illustrés par des projections vidéo réalisées par Frédéric St-Hilaire.

Il faut souligner l'énorme investissement de Contamine dans son projet scénique. Il a réussi à bien théâtraliser l'oeuvre et à donner des traits attachants à son personnage solitaire.

Au bout du compte, le récit est l'illustration d'une grave crise d'identité et de personnalité. Le choix du python comme animal de compagnie n'est pas un hasard. Outre sa capacité d'étreindre son maître, le python est un animal qui mue: «Les pythons muent, mais ils recommencent toujours. Ils font peau neuve, mais ils reviennent au même, un peu plus frais.» Ce qui n'est pas le propre de la condition humaine.

À la fin, alors que le récit abandonne l'humour et l'absurde de la situation, l'interprète se transforme brillamment sous nos yeux. Son jeu devient très corporel. Il rampe, se tord et se plie dans tous les sens sur la scène. Alors qu'on entend en voix hors champ la dernière phrase du roman: «Dans une grande ville comme Paris, on ne risque pas de manquer.»

Même si le manque se transforme souvent en détresse humaine.

Gros-Câlin, à la salle Fred-Barry jusqu'au 7 avril.