Plus de 30 000 personnes s'étaient déplacées pour voir et entendre l'Orchestre symphonique de Montréal, hier soir, au Parc olympique. Il s'agit d'une foule record pour l'Esplanade Financière Sun Life depuis qu'on a commencé à y présenter des spectacles, l'an dernier. Les spectateurs ont pu y célébrer pas moins de quatre genres de musique, puisque le classique avait invité le folklore, le jazz et la musique populaire à la fête, une idée appropriée compte tenu du contexte.

Il faut le reconnaître: Kent Nagano a le génie de s'entourer des bonnes personnes quand il s'agit d'organiser de grands événements populaires. En choisissant un «petit gars» du quartier, Marc Hervieux, comme animateur, il a visé juste. Hervieux a un talent indéniable pour faire réagir et participer le public. L'immense plaisir et la sincérité qu'il éprouve à partager la musique qu'il aime avec le plus grand nombre est palpable.

Sans que l'on sache trop pourquoi, l'ambiance générale n'était pas aussi fébrile que l'an dernier, et le public était plus calme et attentif. Le programme, composé d'oeuvres vivantes et spectaculaires, était destiné à conquérir même les plus rébarbatifs. Il a permis de mettre en valeur le jeu de chacune des sections de l'orchestre, par exemple, dans La Grande Pâque russe de Rimski-Korsakov. On pouvait en apprécier les subtilités grâce à une sonorisation bien meilleure que l'an dernier.

Cette soirée unique en son genre a permis de mettre en évidence deux autres qualités de Kent Nagano: d'abord, sa grande habileté à faire ressortir les différences de styles entre chaque compositeur. Chaque oeuvre nous transportait dans un univers aux couleurs bien distinctes. En passant de Rimski-Korsakov à Chabrier, la démarcation était particulièrement évidente. Deuxièmement, on ne peut s'empêcher de saluer l'humilité dont le chef fait preuve en laissant autant de place à ses invités, qu'il s'agisse d'Yves Lambert à l'accordéon pour un intermède folklorique réussi, ou de Lorraine Desmarais, triomphale au piano.

Tour de force

En théorie, l'idée folle de jouer Rhapsody in Blue de Gershwin avec 10 pianistes en même temps aurait pu s'avérer catastrophique. Ce fut au contraire un tour de force et un coup de génie, grâce à la magie de Lorraine Desmarais, véritable reine de la soirée, qui a administré à tous une leçon de musique à sa façon. Pendant ses fabuleuses improvisations, le temps s'est arrêté. Tout comme l'orchestre d'ailleurs, alors qu'un sourire émerveillé se lisait sur les visages des musiciens et de ses collègues pianistes. On la laissait aller, tout simplement, prenant les thèmes de Rhapsody in Blue et les brassant comme une sorcière avec sa potion, y ajoutant une pincée de Summertime par-ci, une cuillerée de I Got Rhythm par là.

Pour conclure, on avait décidé de rompre avec les habitudes. Ce ne fut pas le Boléro de Ravel, mais Let It Be des Beatles que l'animateur, accompagné de l'orchestre et des 10 pianistes, a fait chanter à toute la foule dans un ultime moment d'émotion.