La mode des «relectures» d'opéras bat toujours son plein et rejoint cette fois le Faust de Gounod qui pourtant se portait très bien jusqu'à maintenant. Alain Gauthier, metteur en scène local, y a ajouté un élément qui, figurez-vous, avait échappé même à Gounod et à ses librettistes.

Au début de la partition, le vieux Faust reçoit la visite du Diable qui, en échange de son âme --et en un effet scénique d'un instant--, lui rend sa jeunesse. Le vieillard n'existe plus : Faust est maintenant un beau jeune homme élégant.

À l'Opéra de Montréal, où Faust termine la saison, le vieux Faust et le jeune Faust sont en scène presque tout le temps, en somptueuses redingotes semblables, et dans un bel esprit de famille puisque Guy Bélanger et son fils Antoine, ténors importés du royaume du maire Labeaume, s'y partagent le rôle-titre. Le père chante le vieux Faust dans son habituel style larmoyant et le fils chante le jeune Faust avec sa voix correcte mais impersonnelle. Le père chante aussi quelques phrases du jeune Faust; on ne comprend pas pourquoi. Mais le grand mystère: qu'est-ce qu'il fait là, à mimer les gestes du jeune ou à l'épier, dans un coin, pendant des scènes entières sans ouvrir la bouche? Il reste qu'avec deux ténors en scène, le public aurait peut-être entendu un «Salut, demeure chaste et pure» chanté comme il se doit, avec un vrai contre-do final.

La révélation de la soirée est le Russe Alexander Vinogradov en Méphistophélès (le Diable). Une très grande voix de basse, profonde et souple, une prononciation française presque parfaite et dénotant une rare compréhension du texte, en fait de chaque mot, et une incarnation du personnage pleine de sarcasme et d'humour.

L'Américaine Mary Dunleavy fait une Marguerite idéale, innocente mais toujours présente, avec une très jolie voix et un très bon français. Il faudrait cependant lui dire qu'elle ne s'appelle pas «MarguÉrite»... La voix d'Étienne Dupuis montre d'abord quelques signes de fatigue, mais le chanteur se ressaisit et émeut la salle lorsque Valentin meurt en maudissant sa soeur coupable. Même chose chez Emma Parkinson dans le rôle travesti du jeune Siebel: après quelques difficultés, voix et jeu s'affirment enfin, et le petit costume lui va à merveille. La vieille gouvernante, Dame Marthe, peut s'accommoder de l'état vocal actuel de Noëlla Huet; les pitreries qu'on lui fait faire sont cependant de mauvais goût. Philip Kalmanovitch, enfin, apporte de l'éclat au rôle effacé de l'étudiant Wagner.

Le décor très stylisé se ramène à de très hautes bibliothèques que des figurants vêtus de noir (les serviteurs du Diable, paraît-il) déplacent et transforment en colonnes suggérant --ou devant suggérer-- une rue, une maison, un jardin, une église, une prison...

On a coupé le ballet mais rétabli la scène de Marguerite qui ouvre le quatrième acte. Les choeurs sont extrêmement agités et chantent bien. Dans la fosse, Emmanuel Plasson et l'Orchestre Métropolitain font l'affaire, sans plus.

FAUST, opéra en cinq actes, livret de Jules Barbier et Michel Carré d'après Goethe, musique de Charles Gounod (1859).

Production: Opéra de Montréal. Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Première samedi soir. Autres représentations: 22, 24 et 26 mai, 19 h 30. Avec surtitres français et anglais.

Distribution:

Faust vieux : Guy Bélanger, ténor

Faust jeune : Antoine Bélanger, ténor

Marguerite : Mary Dunleavy, soprano

Méphistophélès : Alexander Vinogradov, basse

Valentin : Étienne Dupuis, baryton

Siebel : Emma Parkinson, mezzo-soprano

Dame Marthe : Noëlla Huet, mezzo-soprano

Wagner : Philip Kalmanovitch, baryton

* * *

Mise en scène: Alain Gauthier

Décors : Olivier Landreville

Costumes : Dominique Guindon

Éclairages: Martin Labrecque

Choeur de l'Opéra de Montréal (dir. Claude Webster) et Orchestre Métropolitain

Direction musicale : Emmanuel Plasson