L'impression pourtant très bonne qu'avait laissée Nelligan à sa création, il y a 20 ans, est réduite à néant par la toute nouvelle production de l'Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal qui prenait l'affiche samedi soir au Monument-National.

Cette nouvelle réalisation est supérieure sur tous les plans, à commencer par celui du théâtre. Pendant près de trois heures, et sans un seul instant d'ennui, nous assistons à un drame intensément vécu par tous les interprètes, un drame très émouvant, souvent même bouleversant. J'avais pleuré à Nelligan en 1990. Même chose cette fois-ci. Et je n'étais pas le seul!

Les affrontements du jeune poète et de son père anglophone, qui ne veut pas entendre parler de poésie dans sa maison, sont joués avec une effrayante vérité par le nouveau venu Dominique Côté, en jeune Nelligan révolté contre tous, et le déjà réputé Stephen Hegedus.

En Nelligan âgé, interné à Saint-Jean-de-Dieu, Marc Hervieux est presque continuellement en scène et reste toujours éminemment présent, même silencieux, le visage éteint, la démarche perdue, assistant à la tragédie de son existence et serrant dans ses bras l'être qu'il fut jadis.

Bref, on peut parler de grand théâtre à propos du très beau texte de Michel Tremblay tel que dramatisé et mis en scène par Normand Chouinard - de grand théâtre qui pourrait se suffire à lui-même, sans l'enveloppe musicale d'André Gagnon. Or, il s'agit ici d'un opéra, avec des airs et des duos que la salle applaudit comme tels.

Dans la présentation originale, la musique de Gagnon nous parvenait par synthétiseurs. Elle est jouée ici dans une adaptation d'Anthony Rozankovic pour deux pianos et un violoncelle qui est davantage à l'échelle humaine et confère plus de relief au texte. Beaucoup d'arpèges de piano; au violoncelle, des accents qui sont presque du Fauré. Rudimentaire, la partie strictement vocale se rapproche souvent du parlé, mais sans toujours coller aux paroles. Qu'on l'aime ou non, c'est la formule adoptée par le compositeur.

À retenir, au plan vocal : les jeunes Dominique Côté, au baryton très chaleureux, Aaron Ferguson, au ténor très fin, et Catherine Daniel, au mezzo ferme et expressif. À son habitude, Hervieux remplit tout l'espace de sa voix immense. Caroline Bleau a beaucoup de présence en mère du poète, mais elle chante un peu faux et ne prononce pas bien. Il faut souvent aller aux surtitres pour comprendre ce qu'elle dit. Un seul sujet vraiment faible dans toute cette distribution : Roy Del Valle.

Le décor stylisé est unique. Des religieuses vêtues de blanc y ajoutent des accessoires suggérant divers lieux, dont l'asile où le poète finit ses jours. Les costumes sont d'époque. Tout l'aspect scénique porte la signature de l'École nationale de théâtre.

Samedi soir, MM. Gagnon et Tremblay sont venus saluer avec leur metteur en scène.

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«NELLIGAN», «opéra romantique» en deux actes, livret de Michel Tremblay, musique d'André Gagnon (1988-90). Adaptation pour deux pianos et un violoncelle : Anthony Rozankovic. Production : Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal. Mise en scène : Normand Chouinard. Décors : Évelyne Paquette et Cédric Lord. Costumes : Kate Whitehead. Éclairages : Julien Brun. Direction musicale : Esther Gonthier. Avec surtitres français et anglais. Salle Ludger-Duvernay du Monument-National. Première samedi soir. Autres représentations : auj., mer. et jeu., 20 h, et sam., 14 h.