La fameuse et très longue Scène de la folie de Lucia di Lammermoor a fait la renommée du plus célèbre opéra de Donizetti. Tel que joué et chanté par l'étonnante Eglise Gutierrez, cet épisode vaut à lui seul la soirée entière de trois heures que l'Opéra de Montréal propose comme fin de saison depuis samedi soir, salle Wilfrid-Pelletier.

Forcée par son frère aîné Enrico à épouser un certain Arturo qu'elle n'aime pas, Lucia poignarde celui-ci en pleine cérémonie nuptiale, perd la raison, circule parmi les invités et décrit un mariage imaginaire avec son cher Edgardo.

La jeune chanteuse cubaine avait révélé dès son entrée en scène les plus belles qualités vocales: soprano très égal sur toute la tessiture, et ce jusqu'au suraigu, émission libre de tout effort, phrasé naturel, timbre coloré, justesse absolue, agilité parfaite. Si l'interprétation du rôle n'avait pas été très convaincante jusque-là, elle le fut, et pleinement, dans le «numéro» de démence tant attendu. Sa robe blanche tachée de sang, cette Lucia se jette sur les invités, effrayés, et vient bien près de se fâcher contre l'«oiseau» qui fait écho à sa voix - et qui n'est autre que la flûte montant de la fosse, tenue par l'impeccable Marie-Andrée Benny.

On souhaiterait, de la part du baryton mexicain Jorge Lagunes, un Enrico plus agressif et plus perfide, mais le personnage reste vraisemblable et la voix est forte. Aucune réserve sur l'Edgardo du ténor américain Stephen Costello: cet amoureux entier projette une voix belle et puissante. Les Montréalais font très bien ce qu'ils ont à faire, sauf Alain Coulombe, en chapelain: voix éteinte (sauf pour les notes très graves), aucune présence.

La mise en scène de David Gately est traditionnelle mais efficace, quoique la cérémonie nuptiale prend presque l'allure d'une orgie à un moment donné. Les hautes colonnes stylisées qui reviennent de tableau en tableau donnent beaucoup d'unité au spectacle. Costumes dans le ton, signés Opéra de Montréal (!), éclairages souvent trop sombres, notamment dans la cérémonie nuptiale. Un chef invité, l'Américain Steven White, obtient de l'Orchestre Métropolitain un accompagnement adéquat, les choeurs sont excellents et plusieurs passages de la partition habituellement coupés ont été rétablis.

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LUCIA DI LAMMERMOOR, opéra en trois actes (six tableaux), livret de Salvatore Cammarano d'après le roman The Bride of Lammermoor de Sir Walter Scott, musique de Gaetano Donizetti (1835).

Production: Opéra de Montréal. Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Première samedi soir. Autres représentations: les 27 et 30 mai, 1 et 4 juin, 20 h. Avec surtitres français et anglais.

Distribution: Lucia: Eglise Gutierrez, soprano Enrico: Jorge Lagunes, baryton Edgardo: Stephen Costello, ténor Arturo: Antoine Bélanger, ténor Raimondo Bidebent: Alain Coulombe, basse Normanno: Pierre-Étienne Bergeron, baryton Alisa: Sarah Myatt, mezzo-soprano

Mise en scène: David Gately Décors: Henry Bardon (location, Dallas Opera) Costumes: Opéra de Montréal Éclairages: Anne-Catherine Simard-Deraspe Choeur de l'Opéra de Montréal (dir. Claude Webster) et Orchestre Métropolitain Direction musicale: Steven White