Invitée au festival Santa Teresa, Feist s'apprête à faire rutiler la couronne nord de Montréal demain. Le spectacle qu'elle y défendra portera l'empreinte de Pleasure, son plus récent album, dont elle a déjà présenté le contenu à la Place des Arts l'été dernier.

Cet enregistrement et sa relecture sur scène tranchent clairement avec le cycle précédent de l'auteure-compositrice-interprète. On se souvient que Metals, lancé en 2011 et couronné du prix Polaris l'année suivante, avait amené Leslie Feist à faire le tour de la planète indie avec un spectacle faste et ambitieux.

«Je voulais un grand ensemble de musiciens, une production luxuriante, massive, dit-elle. Je voulais qu'on s'imagine une armée marchant vers le public. Les chansons de cet album commandaient ces orchestrations puissantes, il faut dire.»

Avec Pleasure, ce fut presque le contraire: elle a ressenti des choses devenues trop grosses... et les a chantées en plus petit.

Pour la songwriter canadienne, la perspective de continuer sur la lancée de Metals était un poids trop lourd à porter. À tel point qu'une longue période d'introspection lui a été nécessaire afin de retrouver la passion du studio et du spectacle vivant.

«J'avais cette impression de conduire une voiture en plein brouillard, de ne voir que le rayon des phares sans savoir où je me trouvais.»

Au bout du tunnel vint la lumière, l'envie retrouvée de la profession. En 2017, la chanteuse lançait Pleasure, remontait sur les planches, récoltait de nouveau les éloges. Un an plus tard, elle respire le bonheur et le plaisir de jouer, comme le suggère le titre de son nouvel opus... dont le contenu évoque a contrario des thématiques peu jouissives.

«Heureusement, le fait d'exprimer cet état à travers l'écriture et la musique, d'enregistrer ces chansons et de les interpréter te conduit à laisser cet état derrière toi. Ce qui te fait suffoquer à un moment de ta vie peut devenir une création qui l'emporte sur ce qui est irritant. C'est pourquoi je m'estime chanceuse d'écrire des chansons.»

Assumer sa carrière de songwriter

Parmi les éléments irritants persistants de Leslie Feist pendant cette période difficile, il y avait l'obligation de créer pour des motifs pécuniaires.

«Je craignais de devoir continuer uniquement pour alimenter une carrière et, par conséquent, de rendre publics des albums creux et vides, inutiles. Or, le songwriting faisant partie de ma vie personnelle bien au-delà de ma vie professionnelle, j'ai accepté l'idée de mener cette carrière à long terme. Dans cette optique, ce dernier album est un document honnête.»

L'écriture de Pleasure résulte donc de cette longue introspection.

«J'y exprime ce questionnement, ce doute, cette solitude, cette honte d'avoir peur de craquer sous la pression, cette peur du rejet... Mais il s'en dégage aussi de la tendresse et une grande intimité.»

La musique devait aussi traduire ces états d'esprit. «Les chansons de Pleasure sont angulaires, osseuses, parfois râpeuses. Par la force des choses, les musiques qui portent les textes sont plus ténues, que je les joue seule ou en formation réduite. Sur scène, nous essayons de reprendre l'esprit de l'album, enregistré de concert avec Mocky, Chilly Gonzales et Renaud LeTang. J'ai d'ailleurs fait un travail de contorsionniste avec les chansons du répertoire antérieur, qui sont réarrangées dans l'esprit du nouvel album pour la petite formation avec laquelle je travaille. Beaucoup de plaisir!»

La tournée... et la suite?

Un an après la sortie de Pleasure, Feist tourne avec trois collègues: «Mon excellent batteur Lucky Paul Taylor est avec moi depuis Metals. Je travaille aussi avec l'incroyable bassiste et claviériste Todd Dahlhoff, dont le frère Tory se joint aussi à nous en tant que multi-instrumentiste pour la saison estivale. L'an dernier, j'ai tourné jusqu'en décembre, je viens de reprendre avec mon groupe; n'ayez crainte, tout est encore inscrit dans nos mémoires et nos corps. Nous sommes heureux de retrouver cette fraîcheur entre nous.»

Feist prévoit encore donner des spectacles en Amérique et en Europe d'ici à la fin de l'année. La suite des choses?

«Il n'y a pas de presse, mais j'ai recommencé à écrire et à composer. Entre les grappes de concerts, je m'occupe de mon jardin, mais je me rends régulièrement à mon studio de travail, un lieu très éclairé. Ma méthode de travail s'inspire d'artistes tels John Steinbeck ou Jonathan Franzen, tous deux recommandent de ne pas être ailleurs qu'au travail lorsque vient l'inspiration!»

On comprendra que Leslie Feist recherche des conditions favorables à la création. «Ça ressemble un peu à une relation amoureuse à long terme: malgré les séquences moins passionnées, il faut rester curieux à l'endroit de l'autre... et continuer de se présenter!»

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À l'église Sainte-Thérèse-d'Avila de Sainte-Thérèse demain, à 21 h, dans le cadre du festival Santa Teresa.