Début de soirée de canicule, fin septembre à Los Angeles. Dans la mythique tour de Capitol Records à Hollywood, où Frank Sinatra et les Beach Boys ont enregistré leurs premiers disques, Noel Gallagher a convié 150 personnes à une écoute privée d'extraits du nouvel album de ses High Flying Birds, Who Built the Moon?, qui sort vendredi.

Dans cette salle archicomble, à vue de nez, se trouve le double du nombre d'invités prévus: industry types et beautiful people - comme on dit à L.A. - réunis pour cette séance d'écoute doublée d'un entretien mené par un journaliste du magazine Rolling Stone avec l'ex-guitariste et auteur-compositeur principal d'Oasis, groupe phare de la scène britpop des années 90.

La discussion portant sur le troisième album solo de Noel Gallagher alterne entre le burlesque et le sérieux, l'intime et le musical. Des anecdotes dignes d'un numéro de stand-up, une dose bienvenue d'autodérision et l'inévitable question sur Liam, mouton noir de la famille, qui ne cesse d'envoyer des vannes à son frère aîné par médias et réseaux sociaux interposés.

Coïncidence ou provocation de la part de Noel (on est tout de même à un mois et demi de la parution de son disque): Liam lance, le soir même à Londres, son propre album, paru début octobre, intitulé As You Were. Il s'agit d'une formule sibylline que l'ancien chanteur d'Oasis utilise pour conclure ses messages sur Twitter. Or, depuis des mois, il passe plus de temps sur Twitter que Donald Trump, à insulter son frère... tout en souhaitant paradoxalement une réunion d'Oasis.

Dimanche dernier, par exemple, Liam avait ceci à dire de son frère aîné à ses 2,5 millions d'abonnés sur Twitter: «Your thing don't you mean our thing you creepy little fart last time i looked oasis was a group a band a musical combo as you were LG x» («Ton truc? Tu ne veux pas plutôt dire notre truc, espèce de petit pet sinistre. La dernière fois que j'ai vérifié, Oasis était un groupe, un band, un combo musical»).

Mais encore: «Must be twisting his tofu that his best work was sung and nailed by his younger brother oh well as you were LG x » («Ça doit le ronger que ses plus grandes chansons aient été si bien chantées par son petit frère, eh bien!»)

«Je n'ai pas de formule qui puisse adéquatement exprimer mon indifférence face à Liam», a répondu Noel, sourire en coin, à la question du journaliste de Rolling Stone sur les tweets de son frère, avant de passer à un autre numéro.

Noel Gallagher m'avait servi la même réponse, une heure plus tôt en entrevue, en ajoutant que le mieux à faire, dans les circonstances, était «de ne pas réagir». J'avais senti, à son rictus et ses yeux plissés, qu'il se contenait avec peine et qu'il avait envie, justement, de réagir...

«Votre indifférence semble beaucoup l'irriter», lui ai-je fait remarquer. «Ce serait une bonne chose», m'a-t-il répondu, laconique. J'ai laissé planer le silence. Il a hésité, puis il a fini par ajouter: «D'accord. Ok. Si quiconque a un quelconque fucking doute sur les raisons pour lesquelles Oasis n'existe plus, il n'a qu'à aller faire un tour sur l'internet. Ce qui s'y passe, je l'endure depuis 20 ans.»

«J'étais dans Oasis. J'ai adoré ça. C'est la plus belle chose qui me soit arrivée et qui m'arrivera dans la vie. Mais à un moment donné, je me suis dit que j'étais trop vieux pour endurer cette merde tout le temps.»

Ça fait du bien, manifestement, de parfois sortir le méchant...

La valse des ego

Noel Gallagher a travaillé pendant près de trois ans, de manière intermittente, sur son nouvel album, avec le réalisateur et DJ David Holmes. Lorsqu'ils se sont rencontrés, il terminait en parallèle l'album précédent des High Flying Birds, Chasing Yesterday.

«Il m'a bien averti qu'il ne voulait pas que j'arrive en studio avec des maquettes de chansons, mais plutôt les mains vides, dit l'ancien roadie du groupe Inspiral Carpets, qui a eu 50 ans en mai. Je n'avais jamais travaillé comme ça. Il y avait une pile de disques pour nous inspirer: Marvin Gaye et Sly Stone, Blondie, Talking Heads et New Order, Kanye West...»

Who Built the Moon?, au ton résolument optimiste, est une somme de ces influences: dense et parfois dansant, puisant dans la pop psychédélique ou le R&B des années 60, avec des sections de cuivres, des pièces instrumentales et de petites touches d'électro qui s'ajoutent au pop-rock chargé de guitares typique du son «beatlesque» de Noel Gallagher.

«Il y a des moments où je m'en allais dans une certaine direction avec une chanson et David me disait: "On dirait du Oasis." Et je me disais: super! Mais il voulait quelque chose de différent. Il me poussait à aller où je n'étais pas nécessairement déjà allé», explique l'auteur-compositeur des grands succès d'Oasis Some Might Say, (What's the Story) Morning Glory?, Champagne Supernova, Wonderwall, Don't Look Back in Anger.

De vieux complices se retrouvent parmi la panoplie de musiciens ayant participé à l'enregistrement de Who Built the Moon?. Paul Weller et Johnny Marr, parmi les plus connus, mais aussi le guitariste Gem Archer et le batteur Chris Sharrock, des anciens d'Oasis qui avaient suivi Liam Gallagher dans son groupe Beady Eye.

Noel, à l'évidence, ne cherche pas à faire table rase de son passé. «Bien sûr que non! Je joue encore les chansons d'Oasis en spectacle. Je suis conscient de ce qu'elles représentent pour bien des gens. J'adore ça.»

«Je suis le meilleur au monde pour faire des chansons d'Oasis. Personne ne joue mieux que moi à ce jeu-là!»

«Même si, à ce stade-ci de ma carrière, j'ai envie d'apprendre de nouvelles choses et d'arriver en studio sans nouvelles chansons, en faisant confiance à un réalisateur.»

Craint-il que l'héritage d'Oasis, dissous en 2009 en raison de différends irréconciliables dans la fratrie Gallagher, ne soit terni par les déclarations intempestives et autres comportements erratiques de Liam ?

«J'ai un peu pitié de lui lorsque je constate que, malgré le fait qu'il a un nouvel album sous une grosse étiquette, il a plus envie de formuler des insultes. Je fais mon truc... et il fait "mon" truc! Il n'y a pas de raison d'attaquer le legs d'Oasis pour le bénéfice des médias, tous les fucking jours! Ce n'est pas nécessaire. Tout ça est très éloquent. C'est un aperçu de notre dynamique.»

«Ce qui me fait rire, c'est son espoir insensé qu'Oasis finira par se reformer, alors qu'il tweete que je suis un fucking ceci ou cela. Wow ! Je pense qu'il devrait consulter un psychiatre.»

«It takes two to tango», comme on dit à Manchester, et avec les frères Gallagher, la valse des ego vire invariablement au vinaigre. Depuis toujours. Liam est monté sur scène, la semaine dernière, proposant comme instrument un éplucheur de pommes de terre à l'un de ses musiciens, pour se moquer de son frère qu'il traite de «patate beige». 

Noel a de son côté déjà dit de son frère, dans une tournure de phrase particulièrement bien choisie, qu'il était «un homme à fourchette dans un monde de soupe». Tant qu'on reste dans la métaphore alimentaire...

Et ce n'est pas fini. La progéniture des deux frères ennemis s'en mêle. Leurs propres enfants s'envoient des commentaires désobligeants, entre cousins, sur les réseaux sociaux. Du beau monde à ne pas inviter au même party de Noël.

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Noel Gallagher's High Flying Birds sera en spectacle le 18 février à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.

ROCK. Noel Gallagher's High Flying Birds. Who Built the Moon? Universal Music. Sortie vendredi.

Les frais de ce reportage ont été payés par Universal Music.

Chronologie d'une chicane de famille

Depuis des mois, Noel Gallagher est harcelé par son frère Liam, qui le surnomme (pas très) affectueusement «patate» sur les réseaux sociaux. Puéril, vous dites? Chronologie d'une rivalité entre frères ennemis.

1994: Lors d'une tournée en Californie, Noel quitte Oasis plusieurs semaines et se réfugie à San Francisco sans en avertir son frère, qui l'a frappé à la tête sur scène avec un tambour.

1995: Un enregistrement d'une entrevue au magazine NME au cours de laquelle les deux frères ne cessent de s'insulter se retrouve piraté sur un CD intitulé Wibbling Rivalry.

1996: Liam prétexte un mal de gorge au moment de l'enregistrement de l'émission MTV Unplugged. C'est Noel qui chante alors que son frère, dans la foule, le harangue.

2000: Pendant une tournée européenne, les frères Gallagher en viennent aux coups à Barcelone et Noel quitte de nouveau Oasis pendant quelques jours.

2009: Alors qu'Oasis doit participer au Festival Rock en Seine à Paris, Liam attaque son frère en coulisses, une guitare à la main. «Je ne peux pas travailler avec lui un jour de plus», déclare Noel dans un communiqué, pour expliquer qu'il quitte Oasis pour de bon. «C'est l'homme le plus en colère que vous pouvez rencontrer. C'est un homme à fourchette dans un monde de soupe», dit-il à propos de son frère dans une entrevue au magazine Q.

2016: «Bien des gens disent que je devrais laisser Noel tranquille, dit Liam en entrevue. Tant que Twitter va exister, ce con va entendre parler de moi.»