Mélanie Renaud avait tout ce dont une chanteuse peut rêver: une voix d'or, riche, chaude, capable de frapper les plus hautes notes, un physique attrayant, une carrière enviable et une armée de fans dévoués. Lauréate du Félix de la révélation de l'année en 2002, classée parmi les meilleures vendeuses de disques de l'époque, Mélanie Renaud fut remarquée un soir par Luc Plamondon qui lui confia le rôle d'Esméralda dans Notre-Dame de Paris. Première Noire à incarner la reine de la cour des Miracles, Mélanie Renaud a électrisé les foules du Centre Bell comme du Palais des congrès à Paris et a goûté soir après soir à l'ivresse de la gloire.

Mélanie Renaud avait tout ce dont une chanteuse pouvait rêver. Pourtant, elle a tout perdu. Aujourd'hui âgée de 36 ans, malade et sans le sou, elle vit dans une chambre au couvent des Soeurs missionnaires du Christ-Roi à Laval et tente de relancer sa carrière. L'automne dernier, elle avait commencé à enregistrer les pistes pour un nouvel album quand le diagnostic est tombé: cancer des ovaires. Depuis, Mélanie Renaud alterne les séances de chimio et les séances d'enregistrement, consciente qu'elle joue non seulement sa carrière, mais également sa vie.

«Laisse pas le soleil se coucher...»

Il faut 45 bonnes minutes en autobus entre le couvent Christ-Roi et la rue Fauteux à Laval. Mélanie Renaud connaît le trajet par coeur pour l'avoir fait plusieurs fois par semaine durant l'automne. Cassée comme un clou, sa carrière en lambeaux, Mélanie quittait sa petite chambre du couvent où elle vit avec ses tantes missionnaires pour le studio de Claude Sénécal. «J'en ai vu et enregistré, des chanteuses, dit celui qui fut longtemps un collaborateur de Marie-Chantal Toupin. Je ne sais pas combien d'entre elles ne se sont pas présentées à des séances sans prévenir. Mélanie, elle, n'a pas manqué une fois, pas une.»

Le soleil plombe sur la rue Fauteux, mais avec les fenêtres bouchées et les lumières tamisées du studio que le musicien a aménagé dans son sous-sol, on ne le devinerait jamais. Mélanie Renaud est debout au micro avec son crâne lisse et nu qui lui donne un air de déesse africaine à des années-lumière de la Mélanie en décolleté plongeant qui se la jouait sexy sur des rythmes dance.

Dans la pénombre, les yeux mi-clos, les mains tendues, vêtue d'une longue robe soleil turquoise, elle chante: «Laisse pas le soleil se coucher, je n'ai pas envie de voir la fin de la journée et que l'orage vienne détruire tout ce que tu as bâti.» Des paroles écrites avant le grand tumulte qui s'est abattu sur sa vie récemment.

L'été dernier, la chanteuse croyait qu'elle était enceinte. Elle se sentait bizarre, pas dans son assiette, gonflée. Elle ne comprenait pas trop ce qui se passait dans son corps. Elle a fini par consulter un médecin qui est revenu avec de très mauvaises nouvelles: la bosse que Mélanie avait au ventre n'était pas l'embryon d'un enfant, mais un cancer des ovaires, stade 2, grade 3. Mélanie a été immédiatement hospitalisée pour une hystérectomie suivie de quatre mois de chimio.

«Laisse pas le soleil se coucher», rechante Mélanie Renaud dans la pénombre du sous-sol avec la même intensité, la même émotion, donnant tout ce qu'elle a sans se ménager. Les paroles sont de Claude Sénécal. Il les a écrites avant le diagnostic de cancer. Je demande à Mélanie ce qu'elle ressent en chantant une chanson qui semble être la métaphore de sa condition actuelle: «Je vais peut-être avoir l'air égoïste, mais ce à quoi je pense en chantant, c'est pas la maladie, dit-elle. C'est ma carrière: je ne veux pas qu'elle s'éteigne.»

Entre gloire et dépression

La carrière de Mélanie Renaud allait pourtant bien en 2005 quand elle s'est glissée dans la peau d'Esméralda. Elle avait déjà vendu au-delà de 40 000 exemplaires de Ma liberté, interprété le rôle de Sephora dans Les dix commandements, chanté en duo avec Corneille et avec Wilfred LeBouthillier, galvanisé 250 000 personnes au parc Maisonneuve à la Saint-Jean avec un classique de Céline. Mais Notre-Dame de Paris était un immense paquebot qui a failli l'engloutir.

Nicolas Lemieux, son gérant, raconte que le soir de la première à Paris, le public était si ébloui par cette première Esméralda black qu'il lui a servi une ovation debout dès sa première prestation. Mélanie, elle, ne s'en souvient plus. «Je me souviens de rien parce que j'étais gelée comme une balle du matin jusqu'au soir. J'ai fumé de la mari comme c'est pas possible. Au lieu de me mêler aux autres, je m'isolais en me sentant complètement rejet. J'ai continué à fumer à mon retour au Québec et à m'enfoncer dans la dépression. Sur mon deuxième et mon troisième album, ma voix n'est pas là, et moi non plus. Je me souviens que j'étais frustrée de ne pas réussir, mais pas consciente que c'était en partie de ma faute.»

Dans son bureau de la rue Amherst, Nicolas Lemieux ajoute cette phrase terrible: «À Paris, pendant Notre-Dame de Paris, j'ai jamais vu Mélanie aussi rayonnante sur scène et aussi éteinte à la tombée du rideau.» Mélanie l'écoute en se balançant sur sa chaise, l'air un peu effaré par le souvenir de ces mauvais jours. 

«Ma tête passait plus dans la porte. J'avais un problème de dope, mais surtout un problème d'attitude. J'étais pas fine avec personne.»

«J'étais une petite princesse BS gâtée pourrie. Et mes parents y sont un peu pour quelque chose dans la mesure où ils m'ont surprotégée et beaucoup trop gâtée.»

L'histoire est connue. Mélanie est née à Bainet, en Haïti, et a été adoptée à 8 mois par Serge et Nicole, deux catholiques pratiquants, liés aux Soeurs missionnaires du Christ-Roi. C'est à travers ces missionnaires que l'adoption de Mélanie s'est conclue. Lors de notre rencontre, il y a 17 ans, Mélanie m'avait avoué qu'elle n'avait aucune envie d'aller en Haïti, de rencontrer les membres de sa famille. Ses origines, elle s'en foutait royalement. Pourtant, après Notre-Dame de Paris, Nicolas Lemieux a insisté pour l'envoyer en Haïti, afin qu'elle renoue avec ses racines et qu'elle reprenne contact avec certains membres de sa famille, dont son grand-père. 

«Ç'a été un cauchemar, raconte Mélanie. Au bout d'une semaine, j'ai appelé Nicolas et je lui ai dit: "Sors-moi d'ici, je deviens folle." La pauvreté, la dureté de leur vie, j'en pouvais plus.» Ironiquement, dans les clips tournés en Haïti à ce moment-là, Mélanie chante Je reviens chez moi avec un sourire radieux qui ne trahit aucunement son malaise. Elle a prolongé l'illusion en devenant ambassadrice Oxfam pour Haïti et en sortant en 2008 l'album Feux d'artifice dont l'échec commercial n'a fait qu'aggraver le doute et la dépression qui la rongeaient.

«J'ai juste cette passion en moi et ma voix»

Un immense passage à vide a suivi, creusant la faille en elle. Nicolas Lemieux a tenté de l'aider. En vain. En 2012, excédé par son égocentrisme, il l'a carrément mise à la porte. «J'en avais plein mon casque de Mélanie, de ses crises et de son ingratitude. C'est bien beau, aider le monde, mais quand on t'envoie chier tout le temps, tu finis par te tanner.»

Un de perdu, dix de retrouvés, s'est dit Mélanie à ce moment-là, sans se douter que dans le milieu, elle était déjà considérée à 30 ans, malgré sa voix d'or, son indéniable musicalité et ses talents d'interprète, comme une chanteuse finie.

Toute seule dans son 4 et demi à Candiac, Mélanie a tenté de se reprendre en main. Elle a composé de nouvelles chansons, enregistré un démo. «J'ai fait le tour des gérants et des producteurs. Aucun n'était intéressé. J'ai envoyé mon démo à travers la planète. Personne n'en a voulu.» Elle a fini par retourner cogner à la porte de Nicolas Lemieux. Celui-ci venait de perdre ses deux parents, qui avaient succombé au cancer. En mourant, sa mère lui avait fait promettre de s'occuper de Mélanie. «Pour ma mère et parce que Mélanie fait un peu partie de ma famille, j'ai décidé de lui donner une dernière chance», dit le gérant.

Mélanie acquiesce de la tête. Pour elle, ce disque qu'elle enregistre en catimini, c'est sa dernière chance de revenir dans un métier qui semble être tout ce qu'elle a. «C'est vrai, dit-elle. J'ai pas d'amis, pas de vie. J'ai juste cette passion en moi et ma voix. Si je la perdais, je serais complètement perdue.»

«En ce moment, tout ce qui compte, c'est de me replonger dans le métier. Ça me rend heureuse même si j'ai très peur de ne pas réussir.»

Et la maladie dans tout ça? Mélanie répond qu'elle ne la sent pas. Qu'elle a vu son père, atteint du cancer, se battre pendant huit ans avant d'en mourir. La chanson, elle la connaît. «Le cancer, tu t'en sors ou t'en meurs, mais au moins, le mien m'aura permis de me retrouver dans un état de vulnérabilité et d'humilité qui me fait du bien.»

Le soleil plombe toujours sur la rue Fauteux, à Laval. Mélanie, le crâne lisse et les yeux clos, reprend pour une ultime fois avec toute l'émotion dont elle est capable Laisse pas le soleil se coucher, douloureusement consciente que la vie lui donne à nouveau une chance, mais que c'est peut-être la dernière.

Photo Bernard Brault, Archives La Presse

Mélanie Renaud remporte le Félix de la révélation de l'année au Gala de l'ADISQ, en 2002.