Au fil de ses migrations entre la France, le Québec, le Costa Rica, le Nouveau-Brunswick et le Massachusetts, Marie-Jo Thério a lentement refaçonné le personnage de sa grand-tante acadienne devenue chanteuse américaine... de troisième division. Morte dans l'oubli après une carrière menée dans un essaim de clubs miteux en périphérie de Boston, Lydia Lee s'est imposée comme un sujet propice à une libre mythification.

«Elle était désobéissante, elle ne souscrivait pas aux valeurs familiales. Elle était fêlée! Avec courage et naïveté, elle se voyait une trajectoire de chanteuse. Et elle a connu un de ces nombreux destins épouvantables, fracassés en Amérique», raconte Marie-Jo Thério, question de nous rappeler les fondements d'un projet amorcé à la fin de sa trentaine.

Rencontrée entre deux répétitions au Quat'Sous, là où prend forme sur scène l'évocation de Lydia Lee, l'auteure-compositrice-interprète rappelle cette longue démarche dont le premier aboutissement a été un album d'expression anglaise, paru en 2011: le très ambitieux Chasing Lydie, réparti en 25 stations, chansons et documents d'archives cueillis sur la route de cette grand-tante disparue au milieu des années 60.

«Je suis allée aux États-Unis, soit à Waltham, là où cette partie de ma famille avait émigré du Nouveau-Brunswick. J'ai parlé à mes grand-tantes encore vivantes mais très âgées. J'ai senti leur amour pour leur parente... mais pas l'approbation familiale. En fait, je n'ai pas appris grand-chose sur Lydia Lee!», explique Marie-Jo Thério en riant.

À sa manière

Cette quête de l'artiste au rêve brisé n'a donc pas fait l'objet d'une reconstitution rigoureuse. Marie-Jo Thério ne se dit ni historienne ni généalogiste; elle a plutôt choisi de faire un voyage de Marie-Jo à travers Lydie.

«J'ai coloré le personnage à ma manière, avec ma propre matière d'artiste. J'ai trouvé chouette d'explorer un imaginaire plus éclaté... et de quitter la justesse historique. Vous savez, même les grands historiens colorent les faits à leur manière.»

Après la sortie de l'album, la migration vers la scène fut lente. On se souvient de petits spectacles-laboratoires donnés il y a quelques années, préludes à l'ambitieuse production que voici: On a tous une Lydia Lee. Devant «des millions de choix possibles», l'artiste a dû finalement trancher.

«J'ai fait un emprunt à la banque et puis go! En octobre dernier, j'ai loué une maison à Moncton, d'où je viens, et je me suis mise à travailler avec l'environnement culturel de la place. Je me suis ramassée avec une gang d'artistes que je connaissais depuis longtemps, certains depuis l'enfance. Des musiciens de mon frère, des musiciens de Moncton - dont deux issus des Hôtesses d'Hilaire -, des acteurs, la metteure en scène Brigitte Poupart, mon chum parisien [Olivier Bloch-Lainé], de fidèles collaborateurs de Montréal: le guitariste Bernard Falaise, le violoniste Josh Zubot...»

Douze artistes sur scène

Marie-Jo Thério insiste sur la prise de risque et la rentabilité improbable d'une telle entreprise, dans un contexte ingrat pour la diffusion de spectacles.

«Il est très rare que l'on réunisse une équipe de 17 professionnels - 12 artistes sur scène, dont 7 musiciens. Les diffuseurs sont très frileux, nous avons eu des annulations. Dommage, car c'est ambitieux pour l'époque actuelle. Je ne suis pas payée pour faire ça!»

Notre interviewée décrit la trame narrative de son spectacle comme le «yellow brick road» d'une adolescente attardée, personnage créé à l'époque de son spectacle Arbre à fruits, Arbre à fruits. Marie-Jo la voit très proche de sa personne.

«Elle revient sur scène et me donne de la latitude par rapport à Lydia Lee. À la recherche de sa grand-tante, elle croise sur son passage des gens qui ont leur destinée propre. Sur scène, la matière de l'album Chasing Lydie se trouve allégée. On travaille davantage avec l'énergie de la scène, on crée un spectacle vivant: projections, éclairages, évocations, coups de spatules dans l'imaginaire. Il y a des acteurs, des personnages, il y a des textes parlés, il y a évidemment des chansons.»

«À ceux qui cherchent une chronologie historique de Lydia Lee, oubliez ça. Ça se passe comme dans le cerveau humain.»

On a tous une Lydia Lee, c'est tout sauf une oeuvre statique, insiste sa conceptrice. Ce spectacle multidisciplinaire est en mouvement, ce «work in progress» a trouvé un angle différent dans sa version montréalaise.

«Au Quat'Sous, le décor est changé par rapport aux premières représentations: nous sommes dans une salle à l'italienne alors qu'à Moncton, nous étions en formule cabaret. Nous essayons ainsi de créer un espace adapté au public montréalais. En somme, c'est un spectacle éclaté, sorte de musical ou de pièce de théâtre. C'est du Marie-Jo!»

On a peut-être tous une Lydia Lee, mais, assurément, on n'a pas tous une Marie-Jo Thério.

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Au Quat'Sous jusqu'au 19 mars.