Sur son troisième album depuis qu'il a refait surface en 2006, Cat Stevens devenu Yusuf Islam renoue avec le blues qui le branchait avant que la gloire le happe au sortir de l'adolescence. Tell 'Em I'm Gone est le disque d'un artiste de 66 ans qui puise dans la tradition pour exprimer le désarroi sinon le sentiment de révolte que lui inspire le monde d'aujourd'hui.

Yusuf Islam/Cat Stevens a lancé deux autres albums depuis l'éclipse de près de 30 ans qui a fait suite à sa conversion à l'islam, mais c'est la première fois qu'il donne vraiment l'impression de reprendre là où il avait laissé dans les années 70.

Intronisé au Rock and Roll Hall of Fame en décembre 2013, il a été recruté par le label Legacy de Sony qui entend bien relancer sa carrière tout en exploitant son fonds d'archives. Plus encore, pour la première fois en 38 ans, l'artiste britannique qui vit désormais à Dubaï donnera bientôt une demi-douzaine de concerts en Amérique du Nord, dont le premier à Toronto le 1er décembre.

Certains attendaient sans doute le troubadour romantique qui chantait Morning Has Broken. D'autres croyaient peut-être qu'il accoucherait d'un disque baignant dans la spiritualité, fidèle en cela aux convictions religieuses qui l'animent depuis la fin des années 70.

Or, voilà qu'à 66 ans, celui qui dit comprendre la colère du mouvement anti-Wall Street nous arrive avec un album de cinq chansons de son cru et autant de reprises qui abordent principalement des thématiques sociales et politiques. Des chansons ouvrières y côtoient une nouvelle composition sur la chute des empires et des faux prophètes (I Was Raised in Babylon). Ailleurs, l'ex-vedette pop raconte comment elle s'est sentie piégée, trahie même, après s'être convertie à l'islam.

Une passion de jeunesse

Mais avant d'être un disque de Yusuf Islam ou même de Cat Stevens, Tell 'Em I'm Gone est peut-être celui de Steven Demetre Georgiou qui a grandi à Londres avant de prendre un nom d'artiste pour faire carrière dans la chanson populaire.

«J'avais une liste de reprises plus longue que les cinq qui sont sur l'album, mais ce sont celles que je me suis adonné à faire pendant les séances d'enregistrement, surtout avec Rick Rubin, nous a dit le chanteur. Ce sont des chansons qui m'ont accompagné dans ma jeunesse quand je faisais le tour des boîtes de Londres et que j'écoutais la fabuleuse musique qui nous parvenait des États-Unis. Je n'ai jamais perdu la passion que j'éprouvais pour cette époque et ce genre de musique.»

Bien entouré

En plus de l'Américain Rick Rubin, l'un des réalisateurs les plus influents des 30 dernières années, Yusuf/Cat a embauché des musiciens aussi différents que le guitariste anglais Richard Thompson, le vétéran harmoniciste américain Charlie Musselwhite et son compatriote Bonnie Prince Billie ainsi que le groupe touareg malien Tinariwen. Et c'est Paul Samwell-Smith, l'ex-Yardbirds qui a réalisé les meilleurs albums de Cat Stevens, qui a mixé Tell 'Em I'm Gone avec Rubin.

Tout ce beau monde a aidé Yusuf/Cat à faire un album ancré dans la tradition qui étonnera peut-être ses fans d'une autre époque, mais dans lequel ils reconnaîtront tout de même l'artiste qu'ils adulaient.

Blue-Rock

Cat Stevens

***

Tell 'Em I'm Gone

Sony/Legacy

Sortie le 27 octobre.

Tell 'Em I'm Gone, chanson par chanson

I Was Raised in Babylon

Yusuf/Cat donne le ton avec une protest song bien à lui sur une musique bluesée qui ne déplairait pas à Harry Manx. Un rapide survol de l'histoire avec conseil à la clé: méfiez-vous des leaders, qu'ils soient politiques ou religieux. Belle entrée en matière.

Big Boss Man

Première des cinq reprises de l'album, une chanson ouvrière popularisée par Jimmy Reed dans les années 60 et empruntée depuis par plusieurs artistes dont Elvis. Un blues rythmé qui rappelle le regretté J.J. Cale.

Dying To Live

Contre toute attente, Yusuf/Cat est allé chercher cette ballade sur le thème de la résilience dans le répertoire d'Edgar Winter. Le traitement essentiellement piano-voix met en valeur le chanteur capable d'émotion qu'on a connu jadis et qui, aujourd'hui, conclut cette chanson par un «until God takes me» de son cru.

You Are My Sunshine

Yusuf/Cat s'approprie librement cette chanson des années 30 que tout le monde connaît par coeur et sa You Are My Sunshine prend les couleurs du groupe touareg malien Tinariwen. Une belle surprise.

Editing Floor Blues

Un blues-rock autobiographique enrichi par l'harmonica de Charlie Musselwhite dans lequel l'artiste incompris qui se réclame de Socrate - excusez du peu - rend la monnaie de leur pièce aux médias qui, estime-t-il, ont contribué sciemment à lui faire une réputation qu'il ne méritait pas.

Cat & The Dog Trap

Une fort jolie ballade acoustique qui a tout pour plaire aux fans des années 70. Le chat de cette fable, on l'aura deviné, est nul autre que le Cat d'antan, piégé par des gens mal intentionnés.

Gold Digger

Retour sur le terrain politique le temps d'une autre protest song jazzy-blues. Un travailleur des mines exploité dans l'Afrique du Sud du siècle dernier finira par réclamer son dû et se réapproprier son pays.

The Devil Came From Kansas

C'est à ses contemporains du groupe britannique Procol Harum que Yusuf/Cat emprunte cette chanson extraite de l'album A Salty Dog paru en 1969. Une version assez fidèle quoiqu'un peu moins traînante que celle d'origine, avec solo de guitare d'époque en prime. Réussie.

Tell 'Em I'm Gone

Une autre chanson de travailleurs, du XIXe siècle celle-là, qui donne son titre à l'album. La musique, au carrefour du blues et du folk, est actualisée par la contribution de Tinariwen.

Doors

En guise de conclusion, un blues-spiritual sur fond d'orgue comme une prière qui ne renouvelle pas le genre.