Austin, Texas Nick Cave est un dandy suave, élégant, spirituel. C'est un poète, un romancier, un conteur, un scénariste, un acteur. C'est surtout une icône romantique du rock, pour une légion d'admirateurs.

Son spectacle du 22 mars au Métropolis de Montréal, dans la foulée de la sortie de son excellent album Push The Sky Away, affiche complet depuis longtemps.

Hier, une file interminable serpentait au Centre des congrès d'Austin, quartier général du festival South by Southwest (SXSW), pour l'entendre répondre aux questions du journaliste Larry Sloman. Bien des festivaliers ont d'ailleurs été refoulés à la porte (j'ai dû resquiller pour arriver à trouver une place; non, je n'en suis pas fier!)

Silhouette rachitique d'ex-héroïnomane, cheveux longs teints en noir de jais, vêtu de son éternel costume noir sur chemise blanche, l'artiste de 55 ans s'est plié de bonne grâce aux questions sur sa vie digne d'un roman.

Séduit par la délinquance

Fils d'un professeur de littérature, «un homme plus grand que nature», Nick Cave a été séduit à un jeune âge non seulement par les mots, mais par l'alcool, la drogue et la délinquance. Cet ancien enfant de choeur, élevé dans l'Australie rurale, a fondé à 11 ans, avec un ami, le club des AAA («antialcooliques anonymes»). Il buvait, il cambriolait des maisons, il a fini par être expulsé de son école et envoyé dans un pensionnat chrétien à Melbourne.

C'est grâce à Johnny Cash, qui animait une émission de télé diffusée en Australie, qu'il s'est passionné pour la musique. Il avait l'habitude, en rentrant de classe, de se déguiser en David Bowie devant le miroir de sa chambre (comme le personnage incarné par Marc-André Grondin dans C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée).

Son adolescence a été difficile. «Comme je ne m'intéressais pas au sport et beaucoup à l'art, dit-il, on présumait que j'étais homosexuel. J'en ai bavé.» À l'époque, pour rendre la monnaie à ses intimidateurs, il s'habillait en femme et portait un sac à main rempli de pierres, prêt à frapper. Il buvait, volait et se shootait déjà à l'héroïne.

«J'étais au poste de police, où ma mère était encore une fois venue me chercher, quand j'ai appris la mort de mon père dans un accident de voiture, dit-il. Ce fut un moment très difficile. L'un de ceux où l'on a l'impression d'avoir touché le fond, mais que le sol se dérobe sous nos pieds.»

Culturellement sous-stimulé

Nick Cave s'est exilé à Londres, peu après. «Culturellement, je me sentais sous-stimulé en Australie. De ce point de vue, ma vie n'a été qu'une série de déceptions! dit-il, sourire en coin. J'ai découvert que les États-Unis et la Grande-Bretagne n'avaient pas plus de culture que l'Australie...»

À Londres, au début des années 80, Cave partageait un «squat» dans un quartier peu amène avec les musiciens de son premier groupe, The Boys Next Door (devenu The Birthday Party), réputé pour être «le plus violent» de son époque. «On attirait un public qui avait envie de nous casser la gueule!»

Leur postpunk aux accents gothiques, se rappelle Cave, était peu apprécié de la presse britannique. «Je me suis toujours senti comme un imposteur de la scène musicale. Mais, franchement, ça ne me dérange pas du tout.»

C'est en 1984 que Nick Cave, en exil à Berlin, s'adjoint ses fameux Bad Seeds. Le reste, comme on dit, appartient à l'histoire du rock. Quinze albums avec les Bad Seeds, le projet Grinderman, les bandes originales de films, le jeu d'acteur (pour Wim Wenders, entre autres), la scénarisation de films (de John Hillcoat) et l'écriture de romans (Et l'âne vit l'ange, La mort de Bunny Monro).

«Je trouve plus facile d'écrire un livre qu'une chanson, dit-il. Écrire une chanson, c'est comme accoucher d'une série de melons par le plus petit des orifices. Tandis qu'écrire un livre, c'est un seul accouchement de melon, par le même orifice.»

Grand séducteur - il a deux fils de 21 ans nés à 10 jours d'intervalle, l'un en Australie, l'autre au Brésil (!) -, ce fan de Leonard Cohen estime ne devoir son succès auprès de femmes qu'à son aura de rock star. «Le cliché dit vrai. Adolescent, je repoussais naturellement les filles. Puis je suis monté sur scène et tout a changé.»

Aujourd'hui, après de multiples cures de désintoxication et une dépression, Nick Cave, qui sera sur scène ce soir dans le cadre de SXSW en compagnie de Alt-J et de Yeah Yeah Yeahs, semble avoir enfin chassé ses démons. «Je suis clean, je me suis marié, je fais des disques», dit-il avec un clin d'oeil, pour résumer de manière banale son quotidien.

Ce qui n'a pas changé, c'est qu'il se sent toujours plus près des personnages fictifs qu'il crée que des gens qui l'entourent. Avec une vie comme la sienne, on devine pourquoi.

South by southwest en quelques mots...

Fondé en 1987 à Austin, au Texas, South by Southwest (SXSW) est un festival de réputation internationale qui compte désormais trois volets distincts: l'interactif, le cinéma et la musique, pierre angulaire de l'événement depuis ses débuts.

Dans une ambiance de foire baba cool, quelque 60 000 professionnels des secteurs de la musique, des médias interactifs (réseaux sociaux, phénomènes web, jeux vidéo, etc.) et du cinéma, ainsi qu'environ 5000 journalistes, assistent jusqu'au 16 mars à des conférences et des spectacles, en s'attaquant à une programmation extrêmement riche.

Chaque année, des phénomènes médiatiques (Twitter, FourSquare) et des artistes sont propulsés à l'avant-scène grâce à SXSW.

L'an dernier Fun. et The Lumineers étaient des groupes pratiquement inconnus à leur arrivée à Austin. Fun. a depuis remporté le Grammy de la meilleure chanson pour We Are Young et The Lumineers sera l'une des têtes d'affiche du prochain Festival Osheaga.