Everything That Happens Will Happen Today a été créé par l'Américain David Byrne, de concert avec le Britannique Brian Eno. On se souvient de l'album phare My Life in the Bush of Ghosts, imaginé par le même tandem et très prisé au tournant des années 80. Près de trois décennies plus tard, contre toute attente, ils ont conçu un album de chansons interprétées par Byrne. Ce dernier vient nous en présenter le contenu, jeudi prochain au Métropolis.

Lorsque le label Nonesuch a entrepris de rééditer l'album My Life in the Bush of Ghosts, un disque conçu à une époque où les deux musiciens étaient déjà identifiés parmi les visionnaires de la pop de création, Eno et Byrne se sont revus à New York.

 

Au cours d'un repas entre amis, Brian Eno a confié avoir tenté en vain de créer des chansons. Les musiques étaient prêtes, mais ses textes n'aboutissaient pas. David Byrne s'est alors porté volontaire afin d'achever le travail. Une seconde collaboration était en marche, 27 ans après la précédente. Collaboration éminemment virtuelle, raconte David Byrne, joint en tournée avant l'escale montréalaise.

La création de l'album Everything That Happens Will Happen Today s'est faite dans les conditions permises par la révolution numérique: échanges transatlantiques, communication essentiellement virtuelle, très peu d'échanges dans un même lieu physique.

«Techniquement, c'est devenu très simple, explique David Byrne. Brian m'envoyait le fichier MP3 d'une structure de chanson que je pouvais compléter par la suite. Essentiellement, les décisions du compositeur avaient déjà été prises. D'une certaine façon, c'était très bien car ça m'enlevait toute responsabilité à ce titre; je devais travailler avec ces résultats. En fait, nous avons passé très peu de temps ensemble en studio. À la fin du processus, je n'avais fait que deux courts séjours à Londres.»

Ainsi, Byrne a écrit les textes et composé les mélodies à partir d'espaces sonores aménagés par Eno. On demande alors au chanteur américain s'il vit bien dans l'univers de son collègue anglais, qui ne prend pas part à cette tournée. La réponse s'amorce par un gloussement sympathique.

«Dans la plupart des cas, oui, je suis très à l'aise. Ça ne m'est d'ailleurs pas venu à l'esprit qu'il aurait pu en être autrement. À l'occasion, cependant, il m'est arrivé de vouloir transformer des choses. Mais dans la plupart des cas, j'ai essayé de rester de mon côté de la clôture. De la même façon, Brian n'a pas tenté de modifier mes mots et mes mélodies, sauf exception. Il est aussi resté aussi de son côté de la clôture.»

On connaît la créativité de ces compères, ce nouveau matériel Eno/Byrne s'avère très différent de My Life in the Bush of Ghosts.

«À l'époque, nous avions décidé de ne pas chanter (et plutôt reprendre des échantillons d'autres voix) parce que nous croyions alors que l'auditeur pouvait conclure qu'un seul chanteur (Brian ou moi) serait considéré comme le créateur, ce qui était évidemment faux. Or, nous avons évité cette façon de faire pour ce deuxième disque. Et je dois dire que Brian a été très généreux à mon égard en me laissant tout le terrain de l'interprétation.

«Vous savez, lorsque j'ai fait mes premiers envois, nous n'avions pas discuté des fonctions de chacun. Qui chanterait? Qui écrirait? Qui penserait la structure des chansons? Rien n'avait été précisé. Il se pouvait que j'écrive les mots et les mélodies pour son propre disque, je ne savais pas. Au bout du compte, Brian a été très généreux, il m'a confié la tâche de chanter.»

On comprendra que le compositeur et réalisateur britannique, dont les compétences sont sans cesse sollicitées par les locomotives de la pop culture (Coldplay, pour ne citer qu'un exemple récent), ne prend pas part à cette tournée.

À la manière numérique

À l'instar d'Eno, Byrne n'a jamais cessé de poursuivre sa quête artistique en s'adaptant au contexte de la révolution numérique.

«C'est devenu pour moi un processus normal. Après avoir interviewé Thom Yorke (pour le magazine Wired) et donné quelques conférences sur la question, j'ai dû me montrer à la hauteur de ma vision. Par exemple, créer ce disque d'une manière numérique», souligne l'artiste de 58 ans.

Créer d'une manière numérique, mais aussi diffuser d'une manière numérique: si vous refusez de patienter jusqu'au 25 novembre prochain pour la sortie officielle de l'album en magasin ou encore pour sa mise en vente sur la plateforme iTunes, vous pouvez cliquer illico www.everythingthathappens.com, et ainsi procéder à l'écoute gratuite (en transit) des 10 chansons de l'album. Et si cette écoute vous comble, vous pouvez acheter l'album sur ce site internet. Trois prix sont suggérés: 8,99$ pour le simple téléchargement de l'album, 14,99$ pour le CD (livraison incluse), 69,99$ pour un emballage plus complet, destiné aux admirateurs les plus fervents.

Cet enthousiasme pour la Toile, manifeste chez David Byrne, s'accompagne néanmoins de nuances: «Je demeure fasciné par ces nouveaux développements technologiques, mais je vois ce qu'on perd et ce qu'on gagne avec la révolution numérique. Encore maintenant, il se trouve plus d'informations musicales dans un vinyle que dans un CD, et il y en a plus dans un CD que dans un fichier MP3. En revanche, une nouvelle communauté émerge avec de nouvelles perspectives d'échanges et de diffusion.

«En ce sens, j'ai beaucoup apprécié cette conversation avec Thom Yorke. Je n'ai pas vu le nouveau spectacle de Radiohead, mais j'ai visionné beaucoup de leur matériel interactif. Chose certaine, il est réjouissant de voir qu'un groupe aussi original puisse remplir stades et arénas.»

Du «gospel électronique»

Byrne, lui, s'en tient à des salles importantes, de la taille de notre Métropolis.

Sur scène, Byrne se produit avec son groupe régulier (Mauro Refosco, percussions, Mark Degli Antoni, claviers, Paul Frasier, basse, Graham Hawthorne, batterie), groupe auquel il a greffé trois chanteurs - puisque l'album comporte moult harmonies vocales. «J'ai aussi invité trois danseurs qui ont travaillé avec différents chorégraphes. C'est vraiment nouveau pour moi, mais je crois ça fonctionne très bien. Quite a show!» indique l'artiste, visiblement ravi par la tournée actuelle.

Harmonies vocales, donc. En cours de création, Eno et Byrne ont même eu le sentiment de créer une forme de «gospel électronique».

«Nous n'essayons pas d'évoquer directement le genre gospel, précise l'interviewé, nous gravitons néanmoins autour d'émotions et sentiments qui peuvent être associés à cette musique sacrée. Les harmonies vocales de mon nouveau matériel, je crois, véhiculent un sentiment positif face à l'adversité, elles charrient l'espoir et l'amour malgré toutes ces horreurs vécues quotidiennement dans le monde. Je n'ai surtout pas envie de devenir cynique et déprimé, je dois faire face au monde avec un certain positivisme. Bien sûr, nous ne chantons pas Jésus, mais il y un univers de sentiments communs avec le gospel. Et nous sommes tous habillés de blanc! Cela ajoute à l'effet! (rires)

Voilà donc la nouvelle priorité de David Byrne, qui s'ajoute à une flopée de grandes réalisations. Rappelons qu'au printemps dernier, il a transformé un vieil immeuble de Manhattan en instrument de musique.

«Ça avait commencé à Stockholm où l'on m'avait suggéré d'aménager une ancienne manufacture en espace de création, j'avais fait quelques propositions, une d'entre elles consistait à créer un instrument musical géant comportant des mécanismes typiques de la révolution industrielle. Cela était pour moi très intéressant d'explorer les possibilités sonores de lieux avec lesquels nous sommes tous familiers.

«J'ai repris l'expérience dans un immeuble de Manhattan. Nous y avons accueilli 60 000 personnes cet été! Ça fonctionne pour quiconque, pas besoin de formation musicale. Tous les visiteurs, mélomanes et profanes, y deviennent des égaux, tous perdent leurs inhibitions lorsqu'ils touchent ces instruments.»

Force est de conclure que, depuis les débuts de Talking Heads, David Byrne n'a cessé d'explorer cette zone située entre culture populaire et recherche fondamentale.

«Mes choix esthétiques sont plus ou moins conscients, je crois tout de même être conscient de chercher un terrain d'entente. Je refuse d'être élitiste, mais je ne veux pas non plus faire de la musique qui corresponde aux goûts populaires. Je suis à la recherche d'un territoire où l'expérimentation plaît à quiconque.»

DAVID BYRNE, en spectacle le 30 octobre, 20h, au Métropolis.