Pierre Lapointe sait rebondir. Il avait présenté il y a six mois à la Maison symphonique un spectacle plus ou moins réussi, Amours, délices et orgues, où il s'égarait dans ses concepts. On ne lui reprochera pas d'essayer des choses, c'est même une de ses forces. Mais La science du coeur, spectacle tiré de son plus récent album qu'il présentait en première montréalaise jeudi soir au Corona, est un heureux retour à la simplicité.

Une apparente simplicité devrait-on dire, puisque ce spectacle généreux de 23 chansons sans entracte, dans lequel il interprète les 11 pièces qui composent La science du coeur, est élaboré et réfléchi au quart de tour.

On se demandait en fait comment le chanteur réussirait à recréer sur scène la somptuosité et la profondeur des arrangements de son plus récent disque. Il a contourné le problème avec intelligence. D'abord, il a ramené les chansons à leur plus simple expression: piano et voix. L'astuce, car ç'en est une, est d'avoir enveloppé le tout du son un peu surréel du marimba, ce xylophone d'origine africaine doté de tuyaux qu'on utilise beaucoup dans la culture latino-américaine.

L'idée est surprenante, mais le résultat va pourtant de soi, car le côté percussif, le son un peu sourd et les riches graves du marimba s'accordent parfaitement à la facture contemporaine de la musique de Pierre Lapointe. Et même si le spectacle se rapproche beaucoup plus de l'ambiance mélancolique de Paris Tristesse que de l'effervescence de Punkt, l'ensemble est beaucoup moins monotone qu'une représentation en piano solo seulement. Pierre Lapointe et David François Moreau, qui a signé les arrangements, ont ainsi respecté l'esprit de La science du coeur, et ont facilement emmené au même niveau toutes les autres chansons qui s'y sont greffées, que ce soit Je déteste ma vie (Les Callas), Tous les visages (La forêt des mal aimés) ou Nu devant moi (Punkt).

C'est un Pierre Lapointe en grande forme qui s'est présenté devant le public du Corona jeudi soir - public heureusement chaleureux, car on se demande encore si l'endroit est chauffé. Il se tient debout dans un ovale de bâtons de lumière (plus longs derrière, plus courts devant), qui créent des ambiances différentes pour chaque chanson. C'est parfois un mélange de plusieurs couleurs immobiles, parfois comme des feux clignotants, des étoiles filantes ou des vagues, parfois une seule couleur dominante - rouge, jaune orange, vert, bleu - et c'est de toute beauté.

Dans cette bulle de performance ouverte sur la salle, Amélie Fortin, au piano, est souveraine - Pierre Lapointe ne va s'installer à son instrument que pour quelques chansons. Quant au spectaculaire João Catalão au marimba, il se révèle carrément comme un virtuose.

L'ambiance est souvent grave - le répertoire, qu'on le veuille ou non, appelle ce côté cérémonieux. N'oublions pas que La science du coeur décortique le sentiment amoureux sous toutes ses coutures, et qu'au cours de sa carrière, Pierre Lapointe s'était déjà amplement penché sur le sujet. Alors s'il se permet un petit moment de déconnade sur L'étrange route des amoureux, il se tient toujours pas mal plus proche de l'intensité dramatique - on pourrait ici vous énumérer la quasi-totalité des chansons du spectacle, de Qu'il est honteux d'être humain à La science du coeur, en passent par Les sentiments humains et Nos joie répétitives.

S'il intervient moins que dans ses précédents spectacles, Pierre Lapointe se laisse aller de manière un peu plus spontanée. Pour la première fois, on a vu le chanteur être complètement déconcentré par un blanc de mémoire, au point d'interrompre son interprétation des Lignes de ma main en réprimant difficilement un fou-rire. Avant de chanter Pointant le nord, il a expliqué que c'est David François Moreau qui a décidé d'inclure cette chanson issue de son tout premier disque. «Moi je ne l'aurait pas choisie.» Et à propos de son costume de scène, qu'il a créé avec son amie Geneviève Lizotte: «C'est super beau, mais je n'irais pas au IGA avec.»

Après 75 minutes de spectacle intense et pourtant étonnamment aérien, Pierre Lapointe a terminé avec un doublé redoutable. D'abord Alphabet, chanson disco et complètement éclatée qui figure sur La science du coeur, interprétée dans une ambiance survoltée alors que João Catalão vole derrière son marimba. Puis avec Deux par deux rassemblés qu'il fait seul au piano, accompagné du public qui ne s'est pas fait prier pour chanter. En faisant ainsi le pont entre son matériel le plus pointu et le plus populaire, Pierre Lapointe prouve encore une fois de façon éclatante qu'il peut innover et surprendre, mais qu'il maîtrise aussi parfaitement son art chansonnier.

Pierre Lapointe présentait son spectacle du Corona deux soirs à guichet fermé, mais il sera en spectacle partout en Québec en 2018 et repassera par Montréal lors des Francofolies, en juin. Ne le ratez pas, il est unique.