À son propre étonnement, Tire le coyote a fait salle comble ou presque à La Tulipe, jeudi soir. De la vingtaine à la soixantaine, ce public féru d'américanité francophone était au rendez-vous fixé par le chanteur de Québec. La ferveur était plus que tangible, laissant ainsi présager un succès encore plus important si le Coyote tire bien ses cartes.

Il a un profil plutôt particulier, ce Benoit Pinette. Sa voix de fausset descend rarement de ses cimes, ce qui confère une facture spéciale à son country-folk mâtiné de blues ou de rock plutôt soft. Aux guitares électriques et acoustique, à la pedal steel, à la batterie, il intègre une inhabituelle clarinette et ajoute à la singularité du son.

Force est d'observer que tout se tient chez ce trentenaire barbu et de belle apparence, qui ne laisse certes pas indifférent la gent féminine - dont quelques représentantes lui ont vivement exprimé leur approbation, pour employer un euphémisme.

Et pourquoi ce charme opère-t-il?

Parce que ce doux Coyote use d'un romantisme parfaitement assumé. Parce qu'il sait ouvrir son coeur sans faire dans le gnangnan et la candeur à bon marché. On l'observe et on le goûte dans Ma révolution tranquille, Chainsaw, La fille de Kamouraska, Confetti, Ma filante, Chansons d'amour en sol standard, Jolie Anne pour ne nommer que celles-là. À l'évidence, Benoit Pinette exhale discrètement la testostérone, sans en maximiser les propriétés. Tellement keb!

Parce qu'il sait également couvrir le spectre des émotions humaines à travers ses notes et ses mots. Parce qu'il sait parler de la mort (Bombe à retardement, L'âge d'or vaut rien) ou de la vie à travers sa paternité (Têtard). Parce qu'il sait contextualiser son country folk dans le paysage québécois, parce qu'il aime la forêt et les grands espaces. Lorsqu'il entonne À l'abri (dans l'bois), rejaillit notre inconscient forestier. Lorsqu'il suggère dans une chanson une évasion en moissonneuse-batteuse, on ne peut s'empêcher de penser ce vieil homme parti sur sa tondeuse à gazon dans la campagne du Wisconsin, soit dans le film The Straight Story signé David Lynch. 

Rares sont les artistes francophones de cette allégeance qui manient aussi bien la langue, sauf les réserves qu'on puisse émettre sur sa plume - certaines images sont tarabiscotées pendant que d'autres se révèlent justes ou carrément lumineuses. Sans cette propension à la poésie signifiante, son art serait sans doute confiné à la zone plus naïve (et plus vaste) de l'expression country folk.

Or, il ne suffit pas citer Bob Dylan (Blowin' in the Wind) ou Neil Young (Roll Another Number (For the Road)) pour s'acquérir quelque crédibilité. Il faut se montrer capable d'une proposition à la hauteur de ses références stylistiques, bien les maîtriser, s'entourer de musiciens compétents et cohésifs - Benoit Villeneuve alias Shampoing, guitare et chant, Jean-Philippe Simard, batterie, Cédric Martel, basse, Dimitri Lebel-Alexandre, pedal steel guitar, Jean-Daniel Lessard, clarinette, lui-même à la guitare et l'harmonica.

On peut ainsi conclure que Tire le coyote évolue dans la même ligue kebericana que les Steve Faulkner, Mario Peluso, Dany Placard, Stéphane Lafleur (dont il entonne Les chemins de serviette, fort beau texte au demeurant), Catherine Durand, Chantal Archambault et autres rarissimes Laurence Hélie. Et semble s'attirer un public de plus en plus considérable.