Certaines reprises méritent d'être relues et reprises encore. Parce qu'elles remuent de vieilles histoires qui nous parlent encore aujourd'hui. C'est le cas de L'homme invisible de Patrice Desbiens.

Ce Canadien errant qu'est Patrice Desbiens a écrit un recueil de poésie bilingue, L'homme invisible, qui parle de la troisième solitude canadienne, celle des exclus, des oubliés. D'ailleurs, il pourrait aussi bien être autochtone ou nouvel arrivant, cet homme translucide.

Le livre a 33 ans. Un christ de bel âge, dirait sans doute le poète originaire de Timmins, en Ontario. Sa langue n'a pourtant rien perdu de son charme ni de sa pertinence.

L'homme invisible est l'apatride. Canadien, comme dans venant du Canada et comme canadien en «québécois» ancien. Il ira à l'école à Timmins, découvrira la poésie, perdra ses parents très jeune et déménagera à Québec.

L'étranger franglais dans la capitale québécoise connaîtra tout de même l'amour, celui qui donne presque un pays, qui rend presque visible.

Mais l'amour dure le temps d'une bonne brosse et la presque identité de l'homme invisible sera vite balayée sous le tapis. Malgré l'alcool, la misère et la paranoïa, il gardera toujours sa langue colorée, sa poésie de fond de culotte et de fond de ruelle. Là où la lumière brille aussi parfois.

Poésie narrative

Excellente scénographie, mise en scène et en musique d'Harry Standjofski - qui joue sur scène de sa guitare blues-rock - et interprétation de cette poésie narrative par Jimmy Blais et Guillaume Tremblay, même si ce dernier a raté ses marques à quelques reprises mercredi dernier.

L'homme invisible serait appelé un loser de nos jours portés vite sur la gâchette du jugement dernier. Mais il garde sa superbe, son humour et sa résilience. Un peu, very much so, comme le fabuleux personnage bilingue de Robert Morin dans son film Yes Sir! Madame (1994). 

Enfant mêlé du Canada-Québec de Pierre Trudeau, l'homme invisible est cette bibitte anthropologique d'un pays qui «ne répond à aucune question», qui exclut ceux et celles qui ne sont ni l'un ni l'autre.

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À La Petite Licorne jusqu'au 24 octobre.