Star africaine de l'heure, le chanteur reggae Tiken Jah Fakoly a offert samedi soir le premier de ses deux concerts à guichets fermés au Théâtre Olympia. Ses grooves militants, dans la pure lignée du grand Marley, ont résonné jusque dans les petites révolutions de notre société privilégiée.

La scène devait être la même à l'Impérial de Québec vendredi, et encore à L'Olympia hier soir. Un public, majoritairement «pure laine», qui scande avec énergie les paroles de Le balayeur, Y'en a marre, On a tout compris ou Plus rien ne m'étonne. Chants de révolte et de ras-le-bol, rimes dénonciatrices qui, destinées aux dirigeants d'Afrique, semblent aussi pouvoir viser notre propre classe politique...

Les mots et leur véhicule, un roots reggae parfois teinté des influences de la musique du Mali - c'est le thème du récent album African Revolution - font mouche chez nous. Comme chez Bob Marley autrefois, le message de Tiken Jah Fakoly touche désormais à l'universel.

Une des figures publiques les plus écoutées et respectées d'Afrique de l'Ouest, le musicien a depuis conquis la francophonie, à commencer par la France, terre fertile à toute musique de racines jamaïcaine et africaine. En juin prochain, Fakoly offrira d'ailleurs un concert hautement symbolique: son premier stade de Bercy (capacité: 18 000 spectateurs), clou de sa «semaine de la solidarité» à l'endroit de ces peuples qui luttent pour la liberté.

Or, au vu de l'impasse politique dans laquelle est coincée la Côte-d'Ivoire depuis les élections de novembre dernier, on se serait attendu à ce que le musicien prenne la parole devant ses fans montréalais. Il est plutôt demeuré discret sur le sujet samedi soir.

Sur scène, onze musiciens (dont deux choristes et trois saxophonistes) propulsent les compositions de la star, qui prend une pose presque messianique. Le grand gaillard fait les cent pas dans son costume traditionnel, tend les bras en s'adressant à la foule, et récite ses textes avec conviction et une pointe de gravité dans la voix.

Le disque African Revolution est un chapitre captivant dans l'oeuvre du musicien. Enregistré au Mali avec des instrumentistes locaux, il présentait une facette, disons, panafricaine de Tiken Jah Fakoly. Moins fidèle aux codes reggae, le musicien embrassait la richesse de la musique de son coin de continent.

Sur scène, c'est plutôt le retour aux valeurs sûres des riddims one-drop. Légère déception: la transposition du disque à la scène est peu concluante, alors que la kora passe presque inaperçue, noyée sous les cuivres et la rythmique, au mieux ornementale dans la grande fête militante de Fakoly.

Le public se satisfait cependant de la généreuse et enivrante performance du musicien, professionnel jusqu'au bout des nattes. L'ambiance est torride, le parterre bien tassé ondule en cadence avec l'orchestre.

Aux deux tiers du spectacle, Tiken Jah Fakoly évoque l'imbroglio politique dans lequel est plongé son pays natal, surtout pour réitérer combien une intervention directe des pays étrangers (la France, la Belgique) serait néfaste. À ses yeux, la solution aux problèmes doit provenir de l'intérieur.

Pas besoin d'en rajouter, se dit-on, puisque tout est déjà dans les chansons de celui qui espère encore sa révolution africaine.