La semaine dernière, Robert Charlebois, Yvon Deschamps, Louise Forestier et Mouffe se sont retrouvés au Quat'Sous, le petit théâtre de l'avenue des Pins où ils ont créé L'Osstidcho le 28 mai 1968. Pendant une heure, ils ont ressassé devant quelques journalistes leurs souvenirs de ce spectacle total, un peu bordélique, mais combien libérateur, qui a eu au Québec l'effet d'un tsunami dont on mesure encore mal l'impact 50 ans plus tard.

Les quatre artistes parlent en même temps, pouffent de rire, et on se dit que s'ils ont vieilli, il leur reste encore une bonne dose de l'énergie et de la folie qui ont donné naissance à L'Osstidcho. Quand Charlebois-le-verbomoteur échafaude une théorie, Deschamps-l'iconoclaste lui lance aussitôt un «vas-y, Robert!» à la fois moqueur et affectueux.

«La synchronicité, c'est la clé de la vie. Comment ça se fait que nous nous sommes retrouvés quatre au mois de mai ici il y a 50 ans? Un mystère», lance Charlebois.

Deschamps, lui, a une explication plus terre-à-terre: «En fait, c'est arrivé pour une simple raison: j'ai fait faillite le 15 février 1968. C'est pour ça que je me suis retrouvé ici au Quat'Sous avec Paul.»

Paul Buissonneau engage l'ami Yvon pour «vendre des tickets, passer le balai, pour 50 piastres par semaine» et, comme le petit théâtre de l'avenue des Pins n'a pas les moyens de monter Les belles-soeurs, il lui confie la mission de trouver un autre spectacle pour la fin de la saison. Deschamps appelle Charlebois et lui propose de monter une revue dans laquelle ils joueraient ensemble un sketch basé sur le personnage avec son «bon boss» et sa «job steady» que lui avait écrit Clémence DesRochers. Charlebois, qui revient de Californie, lui parle plutôt d'Alice's Restaurant d'Arlo Guthrie, une «chanson totale» pendant laquelle le chanteur se mettait à parler notamment du Viêtnam.

«On va faire des intros et des sorties à tes sketches, un thème musical, ça va faire comme une grande toune de 45 minutes, mais tu vas y aller tout seul», ajoute Charlebois.

Ainsi naîtra le premier monologue d'Yvon Deschamps: Les unions, qu'ossa donne?

Comme l'avait prédit Mouffe à Charlebois à propos de Deschamps: «Quand il va se trouver, on ne pourra pas le suivre.»

Des éponges

«On était des éponges», reconnaît Mouffe au beau milieu d'une conversation sur l'effervescence de 1968. En effet, tout original qu'il fût, L'Osstidcho se nourrissait de son époque: les émeutes de Mai 68 en France, les manifs contre la guerre du Viêtnam aux États-Unis, bref, un souffle de contestation qui n'épargnait pas le Québec.

«C'est l'arrivée des baby-boomers à 22, 23 ans, qui veulent toute la place. Moi, j'ai eu le droit de faire ce show-là parce que c'est moi qui produisais le show, en fait. Sans ça, ils ne m'auraient jamais mis dans le show. J'avais 31 ans, j'étais un vieillard», explique Deschamps, qui pouffe aussitôt du rire qu'on lui connaît bien.

«Les jeunes prenaient le pouvoir et prenaient la parole, alors on s'est dit pourquoi pas nous autres aussi? On a quelque chose à dire et puis on a aussi une façon de le dire qui est différente, en joual», ajoute Mouffe.

En effet, avec L'Osstidcho et, plus tard la même année, Les belles-soeurs, le joual a pris sa place dans la chanson et le théâtre de chez nous.

«La grosse révolution que L'Osstidcho a faite, ce que les gens ont retenu de Lindberg ou de tout ça [...], c'est enfin du monde qui chante comme on parle», renchérit Charlebois.

«On a redonné sa noblesse au langage parlé québécois», affirme Mouffe.

«[Une langue québécoise] qui swignait avec la musique aussi. C'est ça qui était merveilleux», ajoute Louise Forestier.

On ne dira jamais assez combien L'Osstidcho et l'album Robert Charlebois/Louise Forestier paru à l'automne 1968, auxquels ont contribué les joyeux fous du Quatuor de jazz libre du Québec, ont modernisé la chanson québécoise et ouvert toutes grandes les portes à d'autres artistes, du Ferland de Jaune aux groupes québécois des années 70 qui se sont mis à jouer leurs propres compositions. La jeunesse d'ici qui consommait du rock en anglais se reconnaissait enfin dans cette musique aussi éclatée que ce qui se faisait ailleurs, mais qui avait une saveur bien de chez nous.

«Moi, j'ai commencé à écrire parce que ça m'a poussée dans le cul, L'Osstidcho, indique Louise Forestier. Je les regardais aller, je les trouvais bons, ils m'inspiraient, et j'ai dit, moi aussi, je vais faire quelque chose qui me fait peur. Parce qu'on avait tous peur, dans le fond.»

Un coup de poing dans la face

La première, le 28 mai 1968, a eu l'effet d'un «coup de poing dans la face», se souvient-elle.

Charlebois en rajoute.

«On pense qu'on a fait le flop du siècle parce qu'après La fin du monde, [il y a] une minute de silence, personne ne bouge. C'est la première fois de ma vie que je vois un show où personne n'applaudit, rien, et tout à coup ça part, la claque, le monde debout! Y avait la moitié qui haïssait ça et l'autre moitié [qui disait] on revient demain», se souvient Robert Charlebois.

Après une résidence de trois semaines au Quat'Sous, L'Osstidcho est devenu «king size» le temps d'une semaine de représentations, début septembre, à la Comédie-Canadienne, devenue depuis le Théâtre du Nouveau Monde. La bande est revenue au Quat'Sous avec Jean-Guy Moreau en décembre pour le spectacle Peuple à genoux avant de présenter L'Osstidcho meurt à Wilfrid-Pelletier en janvier 1969, puis dans une courte tournée québécoise qui a d'ailleurs été ponctuée d'appels à la bombe à Vaudreuil et à Drummondville.

Pendant des années, L'Osstidcho est demeuré un spectacle mythique dont seuls les témoins de l'époque pouvaient vanter les mérites. Heureusement, depuis 2012, on peut écouter dans leur quasi-entièreté deux représentations, au Quat'Sous et à la Comédie-Canadienne, sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).

PHOTO PIERRE McCANN, ARCHIVES LA PRESSE

Yvon Deschamps en 1970