Quand Johnny Hallyday est apparu sur l'écran radar de notre adolescence, dans les années 60, mes amis et moi avons un peu beaucoup rigolé. Impossible de faire autrement tellement le fossé était abyssal entre le rock qui nous faisait vibrer de notre côté de l'Atlantique et celui que défendaient ces chanteurs français qui s'étaient affublés d'un nom de scène à l'américaine pour se parer d'une authenticité douteuse.

Dans le groupe, il n'y avait pas que Johnny (Jean-Philippe Smet), évidemment. Mais les Eddy Mitchell (Claude Moine), Dick Rivers (Hervé Forneri) et Ronnie Bird (Ronald Méhu) n'avaient pas tout à fait le même statut de demi-dieu dans les pages du magazine Salut les copains qu'on lisait ici avec quelques mois de retard.

Nous, l'Amérique, le pays voisin, on connaissait forcément. Et aux imitateurs français, nous préférions de beaucoup les vrais rockeurs qui vivaient au sud de la frontière.

N'empêche, Johnny avait une voix et un répertoire qui ne me laissaient pas indifférent. Personne ne m'a tordu un bras pour aller le voir chanter Le mauvais rêve ou Que je t'aime au Centre Paul-Sauvé en 1970.

Je l'avais presque oublié quand, lors d'un voyage à Paris en 1982, je l'ai entendu chanter à la radio Mon Amérique à moi, le plus cliché des hymnes à l'Amérique de Norman Rockwell avec 30 ans de retard. Fou rire.

Ce décalage culturel explique en partie pourquoi Johnny Hallyday, roi et maître en son pays, a peu fréquenté le Québec. 

Quand il s'est installé au Théâtre St-Denis pour trois soirs en août 2000, il y avait un quart de siècle qu'il n'était pas venu chanter à Montréal. La capacité d'accueil de notre St-Denis n'avait rien à voir avec celle du Stade de France où Johnny avait ses habitudes, mais il était revenu pour nous laisser sa carte de visite après une trop longue absence, en espérant qu'on le réinvite pour nous faire son vrai show.

Six ans plus tard, toujours pas de Johnny à Montréal. C'est à l'Olympia parisien que je l'ai revu avec, à ses côtés, deux musiciens québécois, Réjean Lachance et Alain Couture, ainsi que le guitariste britannique Robin Le Mesurier, tout à fait adéquat dans le jeu, mais tel-le-ment caricatural avec son look et ses poses à la Keith Richards/Ronnie Wood, jusqu'à la cigarette vissée au manche de guitare. Re-fou rire.

«La production est très chère et ça décourage un peu les promoteurs canadiens», m'a expliqué Johnny l'année suivante quand il a fait un saut de puce à Montréal pour chanter dans une émission de TF1 consacrée à Céline Dion. Il aura finalement fallu patienter jusqu'en octobre 2012 pour qu'il se produise au Centre Bell, deux soirs plutôt qu'un.

Il est revenu une dernière fois, le 3 mai 2014, à la salle Wilfrid-Pelletier, pour faire revivre en chansons tous les Johnny qu'on avait connus, depuis L'idole des jeunes et Tes tendres années. Un fan inconditionnel, sans doute un peu menteur, lui a crié: «T'es jeune, Johnny!»

Il n'y avait rien de forcé ni de factice quand il a repris I'm Gonna Sit Right Down and Cry (Over You), la chanson rockabilly d'Elvis qui lui avait donné l'envie de faire ce métier. Mais, avais-je également noté, on acclamait surtout le Johnny aux chansons qui ne pouvaient appartenir qu'à lui, dont Ma gueule et Je suis né dans la rue, à la fois autobiographique et pleine du mythe qu'il s'était construit à sa propre gloire.

Ce soir-là à Montréal, comme à Paris des années plus tôt, je m'étais demandé comment un chanteur aussi intense et imposant pouvait dire autant de banalités entre ses chansons. C'était pourtant le même homme qui, en interview seul à seul, m'était apparu timide, presque trop modeste pour être Johnny. 

Un homme de peu de mots, certes, mais des mots qui avaient souvent le mérite d'être spontanés.

Fabrice Luchini a déjà raconté en spectacle sa rencontre improbable avec Johnny sur le plateau du délicieux film Jean-Philippe dans lequel le chanteur plus grand que nature était curieusement devenu gérant de salle de bowling.

De retour d'une pause dans le tournage, Johnny a demandé à son partenaire de jeu ce qu'il avait fait entre-temps, et Luchini lui a dit qu'il en avait profité pour écouter Glenn Gould et lire Schopenhauer.

«Non, mais qu'est-ce que t'as dû te faire chier!», lui a répliqué du tac au tac Johnny.

L'acteur a aimé.

photo Denis Courville, archives La Presse

Johnny Hallyday en spectacle au Théâtre St-Denis, en 2000