Séisme. Déflagration. Tremblement de terre. La France est sous le choc à la suite de la mort de Johnny Hallyday.

Tout le monde s'y attendait, c'est vrai. Le chanteur était malade. Une semaine plus tôt, il était encore aux soins intensifs. Mais son départ semble laisser tout un pays orphelin, comme s'il venait de perdre d'un seul coup son père, son oncle et son meilleur pote.

Toute la journée, hier, les témoignages se sont multipliés.

Pendant que les médias - même les plus sérieux - passaient en boucle des émissions spéciales sur le «Elvis français», de nombreuses personnalités du monde des arts et de la politique lui rendaient hommage sur la place publique.

Chacun y est allé de son mot, de son analyse ou de son anecdote, de la chanteuse Mireille Mathieu au président Emmanuel Macron, l'un des premiers à s'exprimer, en pleine nuit, peu de temps après l'annonce de sa mort. Signe d'une disparition majeure, l'Assemblée nationale lui a même consacré une ovation, de manière tout à fait impromptue.

L'émotion était tout aussi palpable à Marnes-la-Coquette, banlieue ultra-cossue de Paris où habitait Johnny Hallyday.

Devant les grilles de son manoir, La Savannah, très bien gardé par la police, des fans s'étaient rassemblés spontanément pour lui adresser un ultime salut. Certains se confiaient aux médias, d'autres chantaient ou pleuraient en silence. Tous étaient venus par loyauté, pour remercier celui qui les avait accompagnés pendant 20, 40 ou 50 ans.

«Je l'aime depuis 1966, et ce matin, quand j'ai entendu la nouvelle à la radio, j'ai hurlé», a confié Françoise Dordain, 67 ans, les yeux rougis, qui a fait plus de 100 km avec son mari Bernard pour être proche de son idole.

Dire que Françoise et Bernard sont des fans... En 1972, elle a sauté sur scène pour embrasser Johnny. La scène a été immortalisée par un photographe, et le cliché se trouve désormais dans un album photo spécialement consacré au chanteur que le couple a placé chez lui tout près d'un buste le représentant. Alors forcément, disent-ils, «il fallait qu'on vienne aujourd'hui. On n'a pas hésité une seconde».

Ils ne sont pas les seuls. Sébastien Burel, 42 ans, venait de faire 600 kilomètres en train depuis Strasbourg, avec son frère, son fils et ses neveux, pour rendre hommage à celui qui, dit-il, a toujours fait partie de la trame sonore familiale.

«On ne le connaissait pas personnellement, mais c'est bizarre, c'est comme si on perdait un membre du clan. Mon père chantait ses chansons. Je l'entends depuis que je suis haut comme ça. Alors, bien sûr, j'ai pleuré, même si c'était un étranger», a-t-il dit, l'air pourtant invulnérable dans son perfecto noir.

«Moi, pas une larme, j'ai passé l'âge», a lancé Olivier, 63 ans, en triturant la croix de Johnny accrochée à son cou. Mais il admet que la disparition du chanteur laisse un vide énorme. Pour lui d'abord, qui le suivait depuis l'âge de 10 ans et qui l'a vu «au moins» 100 fois en concert. Mais aussi pour la France, à qui le chanteur «a tant donné».

Donné quoi? De ce côté, les réponses varient. Mais tout le monde semble s'entendre sur ceci: Johnny était d'abord une voix. Puis un charisme. Puis une bête de scène. «Quand il donnait un concert, il se passait quelque chose, a résumé Marie Bourdeau, jeune soixantaine, venue se recueillir devant La Savannah. C'était une espèce de communion. Il donnait beaucoup de sa personne.»

photo Michel Spingler, associated press

Quelques heures après l'annonce de la mort de Johnny Hallyday, les médias - même les plus sérieux - passaient en boucle des émissions spéciales sur le «Elvis français».

Et puis, bien sûr, il y a la nostalgie. Pour plusieurs, Johnny reste associé à l'époque bénie des années 60, celle d'une France qui se décrispe et bascule tranquillement dans la modernité. «Il est toute notre jeunesse», a résumé tout simplement Raymond Meyer, un autre quidam venu pleurer devant La Savannah.

Une institution

Vu de l'étranger, où il n'a jamais vraiment eu de succès, cet amour inconditionnel peut étonner. Mais ce serait oublier le personnage, modèle de persistance et de transcendance.

Né Jean-Philippe Smet, Johnny Hallyday a en effet survécu aux modes, aux caricatures et au mépris de l'intelligentsia, pour devenir une institution de plein droit.

Sa route vers la crédibilité artistique n'a pas été facile. On le trouvait trop «beauf», trop kitsch, trop américain et, finalement, sans grande personnalité. Mais à la longue, c'est lui qui a gagné. Plus qu'une simple copie d'Elvis, Johnny s'est réinventé en chanteur français respectable, pour qui plusieurs auteurs de qualité, de Michel Berger à M en passant par Miossec, finiront d'ailleurs par écrire.

Cette évolution est à l'image du roman national. Incarnation de la jeunesse française des années 60, Johnny s'est «transformé au fil du temps pour épouser les changements culturels de son époque», a écrit hier le sociologue Jean-Louis Fabiani dans Le Monde. Ce «talent», si l'on peut dire, lui aura permis de rallier des gens de toutes les classes, de toutes les générations et de toutes les allégeances politiques. Raison en soi pour mériter un deuil national. Car sur lui, au moins, tous les Français étaient d'accord...

Pour finir, petite pensée pour l'écrivain Jean d'Ormesson. Mort 24 heures plus tôt, le pauvre académicien n'aura eu qu'une courte «fenêtre de pérennité». Hier, dans les médias, plus personne ne parlait de lui. L'émission que lui préparait la chaîne France 2 a même été reportée, pour une programmation «spécial Johnny» animée par Michel Drucker. C'est tout dire.

photo Bertrand GUAY, agence france-presse

L'Assemblée nationale française a consacré une ovation au chanteur, de manière tout à fait impromptue.