Surdoué de la nouvelle génération hip-hop pour la qualité de son propos et la force de frappe de ses sons pour le moins succincts, Vince Staples revient à Montréal avec de nouvelles propositions.

Elles sont réunies pour la plupart dans le maxi Prima Donna, paru en août dernier et qui comprend des apparitions d'A$AP Rocky et de Kilo Kish (qui sera avec lui ce soir, au Corona), ainsi que des contributions de James Blake et du mentor de Kanye West, No I.D. Peut-être aurons-nous droit à des titres inédits de son prochain album, Big Fish Theory.

Voilà autant d'informations neuves pour reconfirmer son talent d'exception, identifié depuis ses enregistrements précédents Hell Can Wait et Summertime '06, dont on a pu goûter plusieurs extraits l'été dernier au festival Osheaga.

Également intitulé Prima Donna, un court métrage met en scène le rappeur vingtenaire. On le voit en proie à des visions illustrant différents niveaux de sa personne: psychique, artistique, social, mystique, symbolique. Plus précisément, on assiste au tournage d'un clip hypersexué, à l'adulation des fans, à une paranoïa nocturne de L.A., aux apparitions d'esprits « vaudouisants » de Mère Afrique, à l'étrange séjour du rappeur dans un hôtel tout aussi étrange, à ses états d'égarement et d'abandon. Voilà autant de sédiments métaphoriques, observables et hautement appréciables.

«C'est vrai que le film Prima Donna est un concentré de plusieurs éléments de mon imaginaire et de chansons que j'ai écrites », convient-il sans s'étendre sur le sujet, lorsque joint au téléphone.

«Pour moi, la musique et le rap sont l'occasion d'exprimer les sentiments intérieurs. Ce que j'exprime vient de l'intérieur, qu'il s'agisse de ma réalité directe ou de la confusion émanant de cette réalité directe. Les idées émergent de l'inconscient, elles apparaissent dans des situations apparemment banales, chaque jour peut faire émerger une idée, après quoi on fait de son mieux.»

Vincent Jamal Staples dit en outre ne pas essayer de comprendre le comment et le pourquoi de ces images surgies de sa caboche. «J'essaie de les agencer d'une manière créative. J'essaie de créer un monde, sorte d'espace imaginaire où chacun peut choisir de se trouver, et puis ressentir ce monde étrange dans lequel nous nous débattons tous. L'interprétation reste ouverte.»

On comprendra que Vince Staples ne cherche pas à simplement refléter sa réalité immédiate ni à produire du sens direct, encore moins à prescrire quoi que ce soit. Ce ne fut pas toujours le cas, remarquez. À peine sorti de l'adolescence, il avait enregistré le mixtape Stolen Youth, réalisé par le collègue Mac Miller (sous le pseudo Larry Fisherman), un recueil de textes plus vindicatifs, socialement pessimistes, hyper lucides pour un kid.

Observer avant d'expliquer

Après quoi les jeux de langage se sont superposés, déconstruits, défragmentés, reconstitués autrement. Vince Staples a déjà intégré un sens certain de l'abstraction. Son hyperréalisme est devenu... magique, sans négliger sa propension à dépeindre des scènes de la vie réelle, celles d'un monde observable à sa portée. Prima Donna en témoigne éloquemment.

«J'ai souvent dit en interview que je n'étais pas du type "fight the power"», rappelle-t-il en citant Chuck D.

«La musique est tellement vaste, il y a de l'espace pour tant d'expressions, voici la mienne. Certains sont plus touchés par les considérations sociales, politiques de la vie, je ne suis pas vraiment là. Chacun son truc.»

À 23 ans, Vince Staples est à construire les premiers étages de son édifice. Il n'en est vraiment pas à l'auto-analyse, l'heure des bilans est loin, très loin devant lui.

«Plus j'apprends, explique-t-il, meilleur je suis pour comprendre qui je suis, pour savoir comment je dois interagir avec le monde qui m'entoure. Sur une base quotidienne, cependant, cela devient difficile d'identifier ce qui est vraiment évocateur. On a toujours tendance à essayer de construire un monde avec ses perceptions. C'est un processus incessant, une progression naturelle.»

Un cercle restreint

Musicalement, Vince Staples n'est pas du genre à embaucher une douzaine de beatmakers pour chaque chanson, comme c'est presque devenu la norme dans le hip-hop à grand rayonnement. Il préfère travailler avec un groupe assez restreint de réalisateurs, on pense entre autres à No I.D., DJ Dahi, John Hill, Christian Rich, Brian Kidd, Clams Casino...

«Je préfère une conversation avec un petit groupe de créateurs qui peuvent ensemble mettre au point des projets qui viennent du coeur.»

Les grooves de ses enregistrements les plus remarqués se fondent à la fois sur des rythmes de tradition hip-hop, mais les influx électroniques qui portent son flow procèdent d'une esthétique minimaliste efficace et très créative, gracieuseté de beatmakers visiblement très futés.

«Nous partageons ensemble cette valeur du dépassement de soi. Nous voulons tous aller plus loin, faire les choses différemment, sans vouloir nommer ce qui a été accompli. Je suis très heureux que nous puissions déjà atteindre ces résultats.»

Sur scène, aucune ostentation, avions-nous noté lors du court spectacle donné à Osheaga, en 2016. «Nous tentons d'évoquer sur scène ce que nous avons imaginé en studio, c'est-à-dire rester près du son des enregistrements, et ainsi communiquer le plus intensément possible avec le public. Sur scène, j'ai un DJ et possiblement un invité avec moi.»

Amateurs d'effets spéciaux et de vastes déploiements orchestraux, s'abstenir. Rien à voir avec Kanye West, Jay Z, Drake ou Kendrick Lamar. Nous sommes ici sur le territoire du verbe consonant, de la recherche sonore et de l'indépendance d'esprit. Pour sûr, Vince Staples est un surdoué d'un autre type.

Au Théâtre Corona, ce soir, 20h, précédé de Kilo Kish