Ils font carrière comme musiciens tout en composant pour la scène. On pense bien sûr à Philippe Brault, Nicolas Basque (de Plants and Animals) ou Navet Confit, qui ont raffiné la conception sonore au théâtre depuis 10 ans. Mais il y a de nouveaux venus: Jorane, Fanny Bloom et Jérôme Minière ont eux aussi fait le saut dans l'arène théâtrale. Entretiens.

JORANE

La violoncelliste québécoise Jorane Peltier compose de la musique de film depuis une dizaine d'années (Louis Cyr, Détour, Lovesick, Un dimanche à Kigali). Une aventure qui a commencé au début des années 2000 avec le film I Am Dina, pour lequel elle a travaillé avec le compositeur Marco Beltrami. Mais ses projets pour la scène sont récents.

L'an dernier, elle a composé avec Richard Desjardins la musique du spectacle EMMAC Terre marine de la chorégraphe Emmanuelle Calvé. Puis, elle a fait le saut dans l'arène théâtrale à l'invitation de la metteure en scène Lorraine Pintal, d'abord avec Albertine en cinq temps, puis avec Le journal d'Anne Frank, présentement à l'affiche au TNM.

«C'est vraiment une démarche différente, explique-t-elle. Contrairement au cinéma, l'acteur de théâtre s'inspire de la musique pour jouer son personnage, de la même manière qu'il porte un costume. Il a donc fallu trouver un thème qui traverse la pièce, notamment pour relayer ce qui se passait à l'extérieur de l'Annexe, où Anne Frank était captive.»

Pour Le journal d'Anne Frank, le défi de Jorane était de trouver «quelque chose de personnel, qui traduirait bien le côté lumineux du personnage d'Anne, tout en témoignant de la gravité de la guerre, sans que ce soit trop triste.» La musique enregistrée avec le quatuor Orphée devait aussi appuyer les projections que l'on voit dans la pièce.

«C'est finalement assez cinématographique comme musique, nous dit Jorane, qui a notamment écouté la musique du film Schindler's List pour se préparer à ce travail. Je voulais qu'on la voie passer son adolescence, comme une fleur qui grandit.» La musicienne, qui compose entre autres au violoncelle et au piano, dit apprécier le travail d'équipe avec les concepteurs d'une pièce de théâtre.

«Tout le monde partage sa vision, on s'influence, c'est très stimulant. Quand j'ai commencé à travailler au Journal d'Anne Frank, je sentais que j'avais une mission», confie-t-elle. Pour l'instant, Jorane travaille à la musique du film La guerre des tuques 3D avec son complice Éloi Painchaud. Mais elle a déjà hâte de travailler avec d'autres metteurs en scène. Elle mentionne Robert Lepage, mais aussi le réalisateur japonais Hayao Miyazaki, qu'elle adore. «Je suis ouverte à tout!»

JÉRÔME MINIÈRE

Il a composé ses propres pièces, conçu des bandes sonores et même écrit un livre! À ce jour, Jérôme Minière a sorti une dizaine d'albums en plus de réaliser ceux des autres (Grenadine, Ngâbo, Michel Faubert et Tristan Malavoy). Il vient d'ailleurs de mettre la touche finale au nouvel album de Domlebo (Dominique Lebeau, ex-batteur des Cowboys fringants), Bricolages, qui sortira le 15 février.

Mais depuis 2009, il travaille régulièrement avec le metteur en scène Denis Marleau. Tout a commencé par la pièce Une fête pour Boris de Thomas Bernhard. Jérôme Minière a composé la bande sonore de la pièce avec Nicolas Bernier avant de refaire équipe avec Marleau dans Le dernier feu, de Dea Loher (en 2013), pièce dans laquelle il a d'ailleurs joué sur scène. L'an dernier, il en a remis en composant la musique de La ville, de Martin Crimp.

En ce moment, il travaille à son quatrième projet avec Denis Marleau: la pièce Innocence de Dea Loher, qui sera présentée en France à la Comédie française à partir du 28 mars. Une production à laquelle participe d'ailleurs Jean Paul Gaultier, qui a conçu les costumes. La distribution est, elle, entièrement formée de comédiens du célèbre théâtre parisien.

«C'est un beau projet, dit Jérôme Minière, même si c'est plus difficile de travailler à distance. Parce que je me nourris beaucoup des échanges que j'ai avec Denis et les comédiens pour composer la musique. Je dois tenir compte du texte, du jeu et de la mise en scène, dit-il. Je participe aux étapes de la lecture de la pièce et je discute avec tous les artisans de la pièce.»

Les projets de théâtre sont pour lui comme des voyages. «Chaque projet est différent, il faut trouver la bonne ambiance sonore, c'est un exercice d'essais et erreurs. Mais j'aime la sédentarité du théâtre, le rapport au temps aussi, le fait de s'installer dans un théâtre pour quelques semaines.»

L'auteur-compositeur-interprète, qui a aussi publié un roman l'an dernier (L'enfance de l'art), ne délaisse pas pour autant ses projets personnels. Le 3 mars, il sortira son nouvel album, Une île, qui fait suite à son dernier, Jérôme Minière danse avec Herri Kopter. Il n'exclut pas de travailler avec d'autres metteurs en scène que Denis Marleau.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Jérôme Minière

FANNY BLOOM

Elle s'est fait remarquer avec La Patère rose mais mène une carrière solo depuis trois ans. L'an dernier, dans la foulée de la sortie de son deuxième album, Pan, Fanny Bloom s'est vu offrir par le metteur en scène Jean-Simon Traversy de composer la musique de la pièce Constellations, actuellement à l'affiche de La Licorne. La jeune auteure-compositrice avoue avoir été surprise par cette proposition, elle qui connaît peu le milieu théâtral...

«J'ai trouvé que c'était un beau défi à relever, confie-t-elle. J'ai un peu accepté aveuglément. J'ai fait confiance à Jean-Simon... et à mon instinct!» La pièce de Nick Payne parle d'une rencontre amoureuse entre une physicienne, Marianne, et un apiculteur, Philippe. «Il y a cinq variations d'une même rencontre entre ce garçon et cette fille, résume l'auteure-compositrice. J'ai composé la musique de la même façon. Ce sont des variations d'une même pièce.»

Fanny Bloom partage la scène avec les comédiens, jouant seule au piano les morceaux qu'elle a composés et qui font partie d'un EP disponible depuis quelques jours. «J'étais tellement stressée, avoue-t-elle. J'ai passé un temps des Fêtes horrible, mais, finalement, je trouve ça vraiment le fun. Ce n'est pas tant moi qui suis sur scène que ma musique. Je trouve ça cool de ne pas être à l'avant-plan et de travailler en collaboration avec une équipe de créateurs.»

Fanny Bloom, qui a une formation en musique classique, parle même d'un «retour aux sources». Elle a volontairement délaissé son univers pop pour créer un environnement sonore «nostalgique» - enregistré avec une trompette et une contrebasse.

«J'ai beaucoup pensé à Pierre Lapointe, dans la mesure où je porte son oeuvre en moi depuis longtemps», dit l'artiste qui a coréalisé le disque avec Thomas Hébert (Misteur Valaire).

Aimerait-elle répéter l'expérience? «Absolument, répond-elle. Même pour le cinéma. Je n'avais pas prévu me sentir aussi libre dans cette démarche qui consiste à être au service de la vision d'une équipe de création. Je me sens très choyée de faire ça. Je ne connais pas encore très bien les gens de théâtre, mais j'aimerais bien travailler avec Simon Boulerice, par exemple. Il a un univers jeune, éclaté, frais, que j'aime beaucoup.» À bon entendeur...

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Fanny Bloom