Bassékou Kouyaté est joint à Chicago. Lorsque le téléphone sonne à sa chambre d'hôtel, on se les y gèle comme à Montréal. Méchant contraste pour ce virtuose qui, l'avant-veille, était sous le soleil de Bamako ! La pire période pour un Malien en tournée nord-américaine ? Un rire sonore a tôt fait de traverser le Midwest pour atteindre le combiné montréalais. Nenni, il n'en fait pas de cas.

En plus d'être d'un commerce fort agréable, notre interviewé est un grand maître du n'goni, sorte de luth traditionnel, de surcroît un instrument central de la musique malienne et l'un des plus importants en Afrique de l'Ouest. 

Lancé sous étiquette Out/Here, son album Jama Ko doit être considéré comme l'un des meilleurs de l'entière production africaine en 2013. À la fois traditionnel et moderne, traversé par le blues et le rock.

On sait que les racines du blues sont enfouies dans la région subsaharienne, on sait aussi que l'esprit rock se réclame du blues originel, et voilà ce retour au bercail après des siècles d'exode.

À l'écoute de Jama Ko, cela tombe encore sous le sens. Les n'gonis y sont immergés de distorsion, l'expression traditionnelle s'en trouve transformée et revivifiée. « C'est normal», dit Kouyaté d'une voix grave et dont les R roulés à l'africaine sont invariablement majuscules.

Ce vent de saturation est montréalais, faut-il souligner : gracieuseté de Howard Bilerman, un des incontournables de l'Hotel2Tango, un de nos meilleurs.  Rappelons qu'il a enregistré et/ou réalisé des opus d'Arcade Fire, Godspeed You! Black Emperor, Thee Silver Mt.Zion, Coeur de Pirate ou, tout récemment, L'été de Philémon.

« Venu à Bamako, Howard m'a convaincu d'enregistrer différemment. "Toi et ton groupe jouez très bien mais laisse-moi en créer le son. Laisse-moi faire mon travail", me disait-il au départ. Franchement, je croyais que ça ne marcherait pas avec tant de distorsion. Le changement serait trop grand. On a essayé, et ça a marché. Très bien!  Sur scène? Ça dépend des amplis. Ce n'est pas encore comme en studio mais ça va. »

Une avancée dans le son malien voire le son africain ? Bassékou le croît.

« Mes ancêtres sont restés dans le folklore pendant des siècles. Les générations nouvelles de la musique malienne sont  modernes, elles doivent suivre le monde entier qui ne cesse de changer.»

Pas trop, tout de même. Bassékou Kouyaté est issu d'une très longue lignée de griots bambaras - caste de musiciens, conteurs et gardiens de la culture - il croit toujours à ce rôle ancestral qui lui est attribué. « Le griotisme, insiste-t-il, existe depuis des siècles. Avant la naissance de Jésus-Christ!  Toutes les musiques maliennes ont été entretenues par le griotisme.»

Ainsi, le musicien maîtrise parfaitement sa tradition et c'est la seule et unique condition qui lui permet d'en transgresser les règles patrimoniales. 

« Le n'goni, explique-t-il, est un très vieil instrument. Mon père, grand-père et arrière-grand-père le jouaient plus ou moins de la même façon. Moi, j'en ai favorisé le rayonnement international, j'en ai changé le jeu et la lutherie. Mon père jouait le n'goni à quatre cordes, mon grand-père jouait le n'goni à trois cordes. Aujourd'hui, il se trouve des ngonis qui peuvent compter entre sept et neuf cordes. Cette amélioration de l'instrument permet aux joueurs s'adapter à plusieurs styles - jazz, world, musique classique occidentale, etc. Devenu moderne, le n'goni a changé; il peut couvrir plusieurs tonalités.  Il existe désormais différentes variétés de l'instrument : certains remplacent la basse électrique, d'autres couvrent des registres plus étendus. J'y suis pour quelque chose.»

Bassékou Kouyaté peut le prétendre. 

«Aujourd'hui, se réjouit-il, la connaissance harmonique des musiciens maliens est plus grande. Ils ont gagné en précision et en rapidité, ils sont ouverts aux musiques d'ailleurs. Grâce à Howard Bilerman, la distorsion apporte aussi quelque chose de neuf au son malien. Il ne faut donc jamais cesser d'innover.»

Force est de déduire que Bassékou Kouyaté est à la fois porteur de tradition et acteur du changement. Il en est de même dans la vie familiale. Le musicien est marié à l'excellente chanteuse Amy Sacko, excellente chanteuse malienne avec qui il a eu quatre enfants. Sa tendre moitié et deux de leurs fils, Mamadou et Moustafa, se produisent au sein de Ngoni Ba. Moustafa, d'ailleurs a travaillé avec Romain Malagnoux, auteur-compositeur-interprète français établi au Québec et fan fini de musique africaine de l'Ouest. De cette collaboration, de cette amitié, résulte l'album Les frontières imaginaires, dont la matière sera jouée ce dimanche à La Tulipe, en première partie du concert de Ngoni Ba.

« Il a passé beaucoup de temps au Mali, il a rencontré mon fils, fait un album où ma femme et moi-même avons participé. Vous savez, mous avons une très bonne connexion avec le Québec. J'adore!  On parle français chez vous, les gens sont très gentils. Même mon ingénieur du son et gérant de tournée, vient de Montréal. Je suis à l'aise avec les Québécois, j'y suis venu très souvent.»

Prêts pour un sommet Mali-Québec?

***

NOTE INFRA : 

Ce dimanche à La Tulipe, 20h30, les Productions Nuits d'Afrique présentent Bassekou Kouyaté et son groupe Ngoni Ba :  Bassekou Kouyaté (n'goni solo), Amy Sacko (voix), Moustafa Kouyaté (n'goni basse), Abou Sissoko: (n'goni medium), Mahamadou Tounkara (yabara, tama), Moctar Kouyaté (calebasse). Ngoni Ba sera précédé par le spectacle de Moustafa Kouyaté (djeli n'goni, chant), Romain Malagnoux (guitare classique, guitare folk, chant), Tapa Diarra (chant), Marc Fournier (basse électrique), Lasso Sanou (calebasse, tamani, flute peulh).