Vu l'instabilité politique régnant dans plusieurs contrées moyen-orientales et nord-africaines, c'est-à-dire là où se trouve son plus grand bassin de créateurs, le Festival du monde arabe de Montréal traverse une période difficile : artistes coincés dans des conjonctures pour le moins délicates, expatriations, déplacements difficiles ou carrément risqués. Parlez-en à la chanteuse Lena Chamamyan, née en Syrie, éduquée en Syrie, résidante de Damas et... aujourd'hui repositionnée à Paris pour les raisons qu'on imagine.

On l'avait interviewée  il y a trois ans, lors de sa première escale au FMA. Elle résidait alors dans son pays natal, voyageait régulièrement à l'étranger, jouissait d'une reconnaissance artistique nationale et internationale. Bref, elle menait une existence plus qu'enviable malgré ce régime autoritaire prééminent en Syrie. À l'évidence, la guerre civile a changé la donne. Installée en France «pour le moment», la chanteuse a quitté Damas à la fin de 2011.

« Pendant plusieurs mois, raconte-t-elle, j'ai vécu les événements de l'intérieur. Or, pour que ma carrière puisse se poursuivre, j'ai dû laisser ma famille derrière moi. Elle est toujours là-bas. Avant cette guerre,  c'était complètement différent. Je réalise aujourd'hui que mon niveau de vie était plus qu'acceptable. Et je sais également que plusieurs Syriens ne jouissaient pas de ma situation avantageuse.»

Pour Lena Chamamyan, il est aujourd'hui très difficile de rentrer en Syrie. « Techniquement, ça l'est. Émotivement, ça l'est encore plus. Ainsi, j'ai dû me repositionner très vite en France. Y comprendre les gens, leur langue que je ne parle pas encore bien. Pour créer mon nouvel album, Ghazl El Banat, je devais m'adapter et multiplier les efforts pour y parvenir. Autrement, je serais restais prise en Syrie et je ne pouvais plus avancer. »

Au cours des derniers mois, la chanteuse a travaillé avec des musiciens d'origines diverses - turque, tunisienne, française.

« Paris  peut compter sur une culture cosmopolite, et donc sur des musiciens aux références riches et variées,  avec lesquels tu peux suggérer ton originalité propre. Ainsi, tu peux prendre plusieurs directions sans exactement savoir où ça va te mener. La première chose qui me vient en tête pour dépeindre ce qui ressort de ce travail est le qualificatif spirituel, mais aussi plusieurs influences : jazz, classique occidentale, classique arabe, folklorique, moderne. »

Lena Chamamyan a écrit les textes, composé et arrangé les musiques de cet album autoproduit, son troisième.

« Les paroles de Ghazl El Banat sont d'expression arabe et s'inspirent de la situation actuelle en Syrie. Il ne s'agissait pas de la décrire directement, il s'agissait plutôt de se pencher sur le traitement réservé à la société civile, d'en évoquer l'espoir malgré les conditions de survie, d'en souligner la force de la voix au féminin. Je n'y ai donc pas traité des enjeux politiques, le sort des êtres humains m'importe beaucoup plus.»

À ce titre, Lena Chamamyan refuse de prendre position d'un côté ou de l'autre dans ce conflit qui décime la population syrienne.

« Lorsque le sang coule, les politiciens banalisent. J'ai acquis la certitude que la politique nous mène aux pires endroits. Les gens meurent partout là-bas, des humains s'entretuent, le peuple a faim et n'a pas de travail. Un désastre. C'est pourquoi j'ai cru bon de mettre mon métier d'artiste au service des personnes éprouvées dans mon pays. J'ose croire que l'art puisse contribuer à balayer ce gâchis politique, et favoriser la réconciliation entre les humains de bonne volonté. Il faut tous nous tenir debout, car personne ne se préoccupe vraiment de notre sort. »

Lorsqu'on demande à Lena Chamamyan si elle affiche une position de neutralité en ne prenant pas parti pour le pouvoir ou la rébellion, elle rétorque ceci :

« Je suis contre les deux parties qui se font la guerre, qui exercent une violence innommable sur la population. Je ne suis donc pas neutre en prenant position pour le peuple. Je m'inscris en faux contre cette violence et ces injustices qui s'abattent sur nous. Je crois sincèrement qu'une mobilisation pacifique peut mener à quelque chose de constructif. Une partie de moi est arménienne, vous savez, je sais ce que signifie le mot diaspora, même après plusieurs générations. En tant qu'artiste, je ne crois pas à la culture des armes. »

Ce samedi, 20h, au Théâtre Maisonneuve de la PdA, la chanteuse syrienne Lena Chamamyan participe au spectacle de clôture du Festival du Monde Arabe de Montréal. Y participent également l'Irakien Naseer Shamma (oud), le Libanais Charbel Rouhanna (oud) et l'ensemble montréalais OktoEcho. Le spectacle Yamal El Sham « se veut un hymne dédié à ceux et celles qui, de la Syrie à l'Irak, en passant par l'Égypte, la Palestine et le Liban, vivent sous le joug d'une double oppression, interne et externe, mais qui continuent tout de même à résister, à réclamer, à vouloir ».