En 2008, Leonard Cohen s'est pointé chez Sharon Robinson à Los Angeles. «Chérie, je pense que je vais devoir partir en tournée encore une fois», a dit Cohen sur un ton quasi résigné à sa grande complice et amie. Cette fois, la décision a été plus facile à prendre.

«Ça s'est passé exactement comme ça, rigole Sharon Robinson au téléphone. On faisait des enregistrements dans mon studio à l'époque, mais cette visite était sa façon à lui de m'annoncer qu'il repartirait en tournée.»

La chanteuse américaine a connu Leonard Cohen lors de sa tournée Field Commander Cohen en 1979-1980. Invitée à y participer par la choriste Jennifer Warnes, elle a gardé le contact avec Cohen par la suite. Ils ont écrit ensemble la chanson Summertime qui a été reprise par Roberta Flack et Diana Ross puis ils ont accouché du classique Everybody Knows et de Waiting For A Miracle. À son retour du monastère bouddhiste où il avait passé quelques années, c'est avec Sharon Robinson que Cohen a écrit et réalisé toutes les chansons de son album Ten New Songs. On la retrouve également sur l'album Dear Heather et le tout récent Old Ideas.

Pour tout dire, personne n'a collaboré aussi étroitement ni aussi longtemps avec Leonard Cohen que Sharon Robinson. Ça se sentait lors de la tournée de 2008-2010. Le vétéran Roscoe Beck en était le directeur musical, mais Cohen multipliait les coups de chapeau à sa complice Sharon et donnait presque l'impression qu'il ne serait jamais remonté sur scène sans elle à ses côtés.

La précédente tournée de Cohen, en 1993, avait été cauchemardesque: il ne montait sur scène qu'après avoir bu beaucoup de vin. Il n'aurait probablement jamais cédé aux avances du producteur AEG 15 ans plus tard s'il n'avait pas dû se refaire après avoir été floué par son ex-agente Kelley Lynch.

Cohen a posé ses conditions. Les répétitions se sont éternisées et le producteur britannique Rob Hallett s'est mis à paniquer quand il a constaté que ça lui coûtait plus de 1 million de dollars avant même que Cohen lui ait donné l'assurance qu'il la ferait, cette fameuse tournée, comme le raconte la biographe de Cohen, Sylvie Simmons. Plus encore, l'artiste avait obtenu que ladite tournée débute dans une douzaine de villes dont Hallett ne soupçonnait même pas l'existence, de St. John's, Terre-Neuve, à Saguenay.

On connaît la suite: Leonard Cohen a chanté à guichets fermés sur les scènes du monde pendant deux ans et demi. Quand j'ai croisé Hallett à Las Vegas lors du tout dernier concert de cette tournée triomphale, il m'a confié que si jamais Cohen acceptait de repartir en tournée, il se produirait dans des arénas où la richesse de sa musique s'exprimerait encore mieux que dans des théâtres.

Des visées plus ambitieuses

Sharon Robinson n'était pas assurée que Leonard Cohen reprenne le bâton du pèlerin à 78 ans, mais elle avait bon espoir que l'aventure se poursuive: toute l'équipe avait beaucoup apprécié l'expérience et Cohen avait accouché d'Old Ideas très rapidement.

«La tournée précédente nous a fait prendre conscience que Leonard a un public très vaste qui apprécie vraiment ce qu'il fait. Aujourd'hui, nos visées sont un peu plus ambitieuses, je suppose. Nous avons prouvé que ce spectacle peut fonctionner aussi bien dans des salles intimistes que dans des espaces plus grands. Les spectateurs au loin ont l'air dans le coup tout autant que ceux en avant.»

Deux changements de personnel sont survenus depuis la tournée précédente. Le guitariste Bob Metzger a été remplacé par un autre complice de longue date que Sharon Robinson a connu pendant la tournée de 1979: Mitch Watkins. Surtout, le multi-instrumentiste Dino Soldo a cédé sa place au violoniste Alexandru Bublitchi.

«Il y a maintenant un supplément de vérité dans notre interprétation de la musique de Leonard, affirme Sharon Robinson. Alex Bublitchi est un musicien formidable et le son de son violon est sublime. Forcément, les arrangements sont différents, ce qui rend le spectacle plus intéressant pour ceux qui ont vu la tournée précédente: il y a un peu plus d'ouverture dans la musique, c'est plus lyrique, plus poétique. Ça convient mieux au son de Leonard.»

Leonard Cohen a entrepris sa tournée Old Ideas en Belgique en août dernier. Il s'amène à Montréal pour deux soirs après une série de concerts aux États-Unis et au Canada. «Mon père s'est toujours préoccupé de ce qu'allait être la réaction dans sa ville natale», nous a dit Adam Cohen l'an dernier. En 2008, Cohen père avait refusé de rencontrer qui que ce soit dans les coulisses de Wilfrid-Pelletier, y compris ses enfants, tellement il voulait se concentrer sur ces trois spectacles au cours desquels le public montréalais l'a acclamé.

«Je pense qu'il est toujours un peu craintif dans des villes de cette importance malgré les succès passés, estime son amie Sharon Robinson. Chaque concert est une nouvelle expérience et, oui, je pense qu'il y aura un peu d'appréhension dans l'air (à Montréal). Mais c'est très bon parfois.»

Leonard Cohen, au Centre Bell, les 28 et 29 novembre

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Sa vie, de 1934 à 2012

Ce n'est pas la première biographie de Leonard Cohen, mais la journaliste Sylvie Simmons a l'avantage de l'avoir interviewé et a le mérite d'actualiser ce qui s'est écrit et dit sur l'homme et l'artiste.

Simmons a rencontré un nombre impressionnant de proches et de collaborateurs de Cohen, dont la plupart des femmes qui ont marqué sa vie: la Norvégienne Marianne Ihlen, celle de la chanson So Long, Marianne; Suzanne Elrod - pas celle de la chanson -, qu'il a rencontrée dans un Centre de scientologie et qui lui a donné ses deux enfants; ainsi que l'actrice Rebecca De Mornay et la chanteuse Anjani Thomas. Malgré le tempérament volage de Cohen et des ruptures parfois acrimonieuses, elles tracent de lui le portrait d'un homme au charisme indéniable, souvent attachant.

Simmons raconte l'enfance de Cohen, la mort de son père quand il avait 9 ans, l'importance de sa mère et son été à la colonie de vacances juive Camp Sunshine de Sainte-Marguerite, où il a appris la chanson The Partisan. Ses études à McGill, où il était un excellent débatteur, et à Columbia. Ses premiers écrits, qui l'ont fait connaître, mais ne l'ont pas enrichi. Sa carrière de chanteur entreprise sur le tard avec un coup de pouce de Judy Collins. Ses allers-retours entre Montréal, New York, Hydra et Los Angeles, ainsi que ses séjours à Londres, Cuba, Nashville et Bombay.

Ce livre contient quelques coquilles: l'hôpital Royal Victoria, où est né Cohen, n'est pas à Westmount; il chante Un Canadien errant (Recent Songs) en français et non pas en anglais; et, aux dernières nouvelles, il y avait un «e» à la fin du prénom de Carole Laure.

Le portrait que trace Sylvie Simmons de Leonard Cohen n'en est pas moins fascinant: l'artiste doué, précis et perfectionniste à outrance, qui remet constamment en question la vérité de son art; l'homme à l'instinct de survie très développé, dont les nombreuses conquêtes n'ont pas apaisé les angoisses, sources de ses nombreuses dépressions; et l'être fasciné par la religion et la spiritualité, qui trouvera de façon intermittente le réconfort auprès de son maître zen (roshi) Joshu Sasaki et de son guide indien Ramesh.

I'm your man: the life of Leonard Cohen

Sylvie Simmons

McClelland&Stewart

576 pages, HHHH