Béatrice Martin est prise dans le tourbillon du lancement du deuxième album de Coeur de pirate. Courte virée de promotion en France, séance de photos pour un magazine à New York, détour par Toronto; en ce mardi matin, elle vient à peine de revenir à Montréal. À l'extérieur du café où nous avons rendez-vous, la jeune femme de 22 ans fait les cent pas, le cellulaire scotché à l'oreille. «Une entrevue avec les Inrocks qui a dû être déplacée», explique-t-elle en s'assoyant sur une banquette.

Comme à l'habitude, Béatrice est aimable, mais on voit tout de suite qu'elle n'est pas dans son assiette. «J'ai un coup de fièvre», dit-elle en grimaçant. Elle souffre d'une otite, il faut qu'elle passe voir le médecin, mais le temps lui manque: elle doit filer vers un autre photo shoot pour un magazine québécois.

Blonde, son deuxième disque, le troisième si l'on tient compte du mini-album Armistice qu'elle a fait avec son amoureux Jay Malinowski, est une véritable orgie musicale comparativement à celui, principalement piano-voix, qui a fait d'elle une révélation québécoise et une authentique star française. Coréalisé avec Howard Bilerman, complice d'Arcade Fire, Wolf Parade et The Dears «C'est lui qui a demandé de travailler avec moi, c'était vraiment cool de sa part, je ne pensais pas qu'il était accessible» Blonde rassemble notamment Sam Roberts qui y chante en français, le Quatuor Molinari, Benjamin Lebeau, du duo électro-pop français The Shoes, Michael Rault, musicien et arrangeur d'Edmonton, et les Petits Chanteurs de Laval qu'on entend d'entrée de jeu sur la très étonnante Lève les voiles, chantée a cappella avant que se manifeste le grand orgue joué par Béatrice elle-même.

Les musiques ont souvent une saveur délicieusement rétro, inspirées aussi bien par Charles Aznavour (Les amours dévouées) que par Christophe, France Gall et Gainsbourg dans sa phase yé-yé, explique Béatrice que le qualificatif rétro fait rire: «Pour moi, c'est plus intemporel, classique. Les années de croissance, ça ne changera jamais, ça va toujours rester cool, c'est ça que je voulais pour cet album-là. Ça marchait avec les thèmes aussi, avec le côté désabusé de la chose.»

Pourquoi Blonde? «Parce que je suis blonde, mais aussi parce que j'ai été la blonde de quelqu'un depuis trois ans. L'album parle de toutes les phases d'une relation, de la rencontre à la rupture et ses suites.»

S'il y a une chose qui n'a pas changé depuis trois ans, c'est le côté livre ouvert de Béatrice Martin. Dans le livret de Blonde, elle remercie les amoureux qu'elle a eus ces dernières années: «Sans vous, ces chansons ne seraient que des idées.»

Elle dit pourtant ne pas craindre qu'on lise dans ses chansons son autobiographie et donne l'exemple d'Adieu, une chanson de rupture qui, dit-elle, ne traite pas d'un gars en particulier, mais englobe tout ce qu'elle a pu vivre.Mais elle précise que la magnifique La petite mort est la seule chanson où elle raconte une histoire fictive. Place de la République a donné le ton à toutes ses relations par la suite: «J'ai vécu à travers cette chanson-là, c'est aussi ridicule que ça, mais c'est vrai.» Plus tard, elle cite la même Place de la République («Mais j'espère tant te manquer, tant me démarquer»), puis explique: «J'ai essayé de me faire une carapace par rapport à tout ce qui s'est passé dans ma vie. Malheureusement, je manque de confiance en moi et ça s'entend des fois dans cet album-là.»

Dans l'oeil du public

Plusieurs des «nouvelles» chansons datent d'il y a deux ou trois ans et elle en a même enregistré une avec Bilerman en 2009. Si elle a tant tardé à les lancer, c'est que sa compagnie de disques française tenait à exploiter au maximum tout le potentiel de son miraculeux premier album qui lui a valu une prestigieuse Victoire de la musique.

Pendant ces trois années, Béatrice aussi a changé: «J'ai grandi assez vite, j'étais une fille invisible qui n'avait pas vraiment d'amis et j'ai été projetée dans un monde où je n'avais pas le choix d'être ce que je suis et de parler au monde. C'était beaucoup me demander. Je faisais des crises de grande solitude par moments, surtout après la tournée parce que je ne savais plus quoi faire de moi. J'ai rencontré des gens qui comprenaient cette solitude-là. Et quand tu rencontres des gens qui te comprennent, tu t'accroches à eux.»

Cette notoriété inespérée ne s'est donc pas faite sans heurts. Béatrice s'est sentie comme «une propriété publique» qui récolte les insultes et les menaces sur l'internet aussi bien que de la part de personnes qu'elle côtoie au quotidien: «J'apprends beaucoup de ce métier-là, mais je me suis beaucoup cherchée en étant dans l'oeil du public. Tu t'oublies et tu ne sais pas qui tu es. Même aujourd'hui, je ne sais pas.»

Coeur de pirate est très attendue outre-Atlantique où elle va entreprendre une tournée de spectacles peu après le lancement de Blonde au Québec, le 8 novembre. «J'espère que le monde m'attend ici aussi», dit Béatrice en souriant.

Ressent-elle beaucoup de pression? «J'aime mieux ne pas trop y penser parce que je ne veux pas être déçue. Je n'ai pas envie de partir la tête haute en disant: je suis indestructible, je vais vendre un million de disques! Les ventes, c'est une chose, mais c'est en concert que tu ressens l'amour du public.»

POP

Coeur de pirate

Blonde

Grosse boîte/Sélect

En magasin le 8 novembre