Onzième album studio en vingt ans de carrière pour le Torontois Ron Sexsmith, depuis longtemps reconnu comme l'un des plus brillants artisans du songwriting canadien. Il a pourtant bien besoin qu'on lui remonte le moral ces jours-ci, alors qu'à 47 ans bien sonnés, l'auteur-compositeur-interprète à la voix d'or sort d'une crise professionnelle.

Avertissement: ce nouveau Sexsmith, Long Player Late Bloomer, a été réalisé par Bob Rock. Oui: sacrilège. Heureusement, le disque est bon, l'auteur du brillant Cobbleston Runway (2002) en sort intact, à défaut d'avoir trouvé le moyen de se réinventer.

«Je crois que c'est différent, se justifie le vétéran song- writer, joint à son domicile torontois. Remarque, j'essaie toujours de faire un album différent chaque fois, j'essaie aussi d'améliorer ma voix. Chaque réalisateur a sa propre perspective et ses propres trucs de studio. Mes nouvelles chansons sonnaient plus «épiques» et il me semblait que Bob pouvait m'aider à rendre ça plus rock. Le but était de faire les choses à plus grande échelle, en quelque sorte.»

Ceci explique donc cela. Franchement, on a craint le pire lorsqu'est venue à nos oreilles l'information voulant que Bob Rock, réalisateur de Metallica (cinq albums), The Cult, Motley Crue et Our Lady Peace, vienne se frotter à la délicieuse pop mélancolique de Sexsmith. Lui, dont on appréciait la fragilité et la proximité qui se dégage de ses enregistrements, laissé à la merci du rock de l'âge de pierre?

Cherchez la compatibilité, trouvez plutôt le motif: avoir, pour une fois seulement, un disque qui cartonne. «J'étais passablement déprimé avant de me lancer dans ce nouvel album, confie Ron Sexsmith. Mes deux précédents n'avaient pas marché. J'avais besoin de faire quelque chose, de faire un geste draconien» pour changer son destin. D'où Bob Rock, sa bouée de sauvetage, sa chance que sa carrière perce «pour vrai», comme le dit le principal intéressé.

Toujours à fleur de peau et porté vers la pop rock de forme classique, Ron Sexsmith, sur ce nouveau disque, force encore plus les rapprochements avec son idole Elvis Costello (qui en retour ne cache pas son admiration pour la plume du Canadien). La patte de Bob Rock s'efface derrière les chansons, le réalisateur se contentant de donner du coffre aux musiques de Sexsmith.

Drôle de hasard, la bouille du réalisateur originaire de Winnipeg passe d'un documentaire à l'autre. Le Some Kind of Monster de Metallica, puis Love Shines, consacré à Sexsmith, «qui retrace le processus de création de ce disque, avec des flash-backs, de vieilles images» de sa carrière. Le film, comme l'album, est traversé par les questionnements de l'auteur-compositeur-interprète, qui ne semble pas réaliser l'admiration que lui vouent ses pairs - à ce sujet, Emmylou Harris reprendra une de ses vieilles chansons, sur son album à paraître en avril.

Pendant toute notre conversation, Sexsmith parle d'une voix lourde, un brin fatiguée. «Mais je t'assure que je me sens bien, insiste-t-il. Ce disque-là m'a fait du bien. Avant, j'avais l'impression que je ne savais rien faire de bien. Mes précédents labels n'étaient pas très encourageants. Aujourd'hui, mon disque paraît partout dans le monde, et les premières critiques sont favorables. La BBC fait tourner mes chansons, le Mojo m'a donné quatre étoiles, et je joue au Jimmy Kimmel Show bientôt.»

D'accord, Sexsmith ne remplit pas des stades à chacune de ses visites, et ses albums n'ont pas droit de cité sur le Billboard Top 200. Et alors? Qui a besoin des chiffres lorsqu'on a de vrais mélomanes intelligents et exigeants pour fans?

«Mes fans sont les meilleurs du monde, concède-t-il. Très loyaux, et c'est important pour moi. C'est pourquoi je ne veux pas passer pour un ingrat. La notoriété ne m'a jamais préoccupé - ni l'argent, pour tout dire. Mais ce qui me frustre, c'est que j'avais réussi à monter un vrai bon groupe et faire les meilleurs albums, mais c'est difficile de les garder, parce qu'ils ont d'autres contrats. Je veux garder ce groupe, jouer dans de plus belles salles; au cours des dernières années, j'ai eu l'impression que ma carrière ne progressait pas.»

«J'ai 47 ans, je ne m'attends plus à faire la une des magazines. Je veux juste faire la meilleure musique pour mes fans, et me donner les moyens de le faire.»

Et s'il faut passer par Bob Rock pour se faire remarquer, ainsi soit-il.

Ron Sexsmith, Long Player Late Bloomer, Warner Music