Anvil n'est qu'un vague souvenir de mes incursions touristiques dans le vaste univers du métal. À vrai dire, c'était moins un son qu'un nom au design cool. Un logo de plus à dessiner dans les marges de mes cahiers quand je m'ennuyais dans un cours de mathématique ou de «formation personnelle et sociale» au milieu des années 80. Or, Anvil, c'est aussi - surtout, en fait - un influent groupe heavy metal ontarien qui a pavé la voie au speed metal, comme le rappelle le documentaire The Story Of Anvil, à l'affiche depuis hier au Cinéma du Parc.

Lars Ulrich (Metallica), Scott Ian (Anthrax), Tom Araya (Slayer) et Slash (Guns N' Roses, Velvet Revolver) admettent d'ailleurs que le groupe encore et toujours mené à bout de bras par Lips (guitare et chant) et Robb Reiner (batterie) a bouleversé leur vision de la musique. Pour ces légendes du métal, ces gars-là sont aussi des légendes. Sauf qu'Anvil a été oublié par le succès et la fortune. Un peu comme Voïvoïd au Québec.

Lips et Robb Reiner n'ont pas baissé les bras pour autant. The Story Of Anvil ne s'attarde pas tellement au passé du groupe. Il raconte plutôt ce que ses deux membres fondateurs sont devenus et ce à quoi ils aspirent: 30 ans après la formation du groupe, Lips et Robb Reiner espèrent encore devenir les rock stars qu'ils rêvaient d'être à l'adolescence. Ce que le film montre, c'est à quel point le monde du rock peut être une machine à broyer les rêves, justement.

Sans entrer dans les détails, la situation est loin d'être rose au début du film. Les deux hommes vivent de jobines et continuent de faire des spectacles dans des petits bars. L'espoir de voir leur talent enfin reconnu à l'échelle internationale renaît toutefois lorsqu'une soi-disant agente de tournée européenne qui se dit fan du groupe leur monte un agenda de spectacles trop beau pour être vrai. Ils foncent. Se produisent dans des festivals courus, croisent d'anciennes connaissances et puis ça tourne mal. Très mal.

Lips et Robb Reiner encaissent pourtant le coup et relèvent la tête. Avec une opiniâtreté qui frise la naïveté, voire l'idiotie, ils se mettent en tête d'enregistrer un 13e album, de renouer avec le réalisateur de leurs meilleurs disques, de dénicher un contrat avec une multinationale, etc. Tout ça sous le regard à la fois compatissant, mais perplexe, de leur entourage: femmes, enfants, frères, soeurs et même de leurs parents âgés qui s'inquiètent encore de l'avenir de leurs adolescents attardés.

The Story Of Anvil fait un peu penser à Some Kind Of Monster, le documentaire consacré à Metallica. Dans les deux, il est question de guerres intestines, d'amitié masculine et de quête artistique. La différence, c'est que les gars d'Anvil ne sont pas millionnaires. Chacune des décisions qu'ils prennent peut avoir un impact sur la fragile santé financière de leur famille. The Story Of Anvil, c'est une histoire de gambling.

Ce qui saute aux yeux, c'est à quel point le comportement de ces deux rêveurs s'apparente à celui des adeptes du jeux compulsifs. Chaque fois que le sort leur joue un mauvais tour, un rayon de lumière s'immisce pour les convaincre que le prochain spectacle, la prochaine tournée ou le prochain disque va faire débloquer les choses. Suffit de trouver 25 000$ pour l'enregistrer.

Il y a quelque chose de franchement pathétique dans tout ça. Mais il y a aussi quelque chose d'authentique: Lips et Robb Reiner rêvent de célébrité, mais s'ils refusent de baisser les bras, c'est surtout parce que la musique et leur groupe, c'est tout ce qu'ils ont trouvé pour donner un sens à leur vie. Pour le meilleur et pour le pire.

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