Peu de musiciens de Palestine ou liés de près aux Territoires occupés se sont taillé une réputation internationale. Parmi ces artistes rarissimes, des membres du Trio Joubran et du groupe Checkpoint 303 ont confié leurs états d'âme à La Presse au sujet de l'actuel conflit armé à Gaza. Est-il besoin de préciser que ces musiciens sont choqués, voire atterrés par ce qui s'y produit?

«Cette tragédie est la pire que j'aie vécue de toute mon existence. Nous sommes attaqués par un État qui peut compter sur des armes parmi les plus redoutables du monde. Israël se bat aussi contre des enfants, contre des mères de famille! Il est plus qu'évident que ce combat ne se mène pas à forces égales», amorce Samir Joubran, leader et fondateur d'un trio qu'il a formé avec ses frères cadets (Wissam et Adnan), et qui s'est d'ailleurs produit à quelques reprises sur les scènes montréalaises - en janvier 2008 au Kola Note, notamment.

 

Joint à Paris, le virtuose de l'oud semble avoir perdu ses moyens, sa voix est étreinte par l'émotion.

«Dans ce contexte, déplore-t-il, le Trio Joubran est devenu carrément inutile. Nous ne pouvons rien faire, quoi que nous puissions exprimer sur la question. L'odeur du sang rend futile tout propos sur la musique ou la culture en général! C'est tellement considérable que nous restons impuissants et immobiles devant notre téléviseur. Je ne peux même plus croire que la culture et la musique soient porteuses d'espoir.»

Samir Joubran et ses frangins n'en souhaitent pas moins l'arrêt immédiat des hostilités et des histoires d'horreur qui parviennent à leurs oreilles.

«Tout ce que j'entends autour de moi ces jours-ci, confie l'oudiste, c'est l'annonce de la perte tragique d'un ou plusieurs membres de familles proches de la mienne. J'étais moi-même à Ramallah il y a quatre jours, la situation y était extrêmement difficile.»

Les frères Joubran, il faut dire, ne viennent pas de Gaza; à Nazareth où ils ont grandi (à l'instar d'un humaniste plutôt connu), tout est resté calme... pour l'instant. Samir et ses frères font la navette entre la Palestine et l'Europe où ils résident principalement.

«Vous savez, vivre actuellement à l'extérieur de la Palestine peut être difficile et souffrant. La culpabilité de ne pas être avec nos compatriotes de Gaza, ce profond sentiment d'impuissance qui nous afflige, tout ça nous mène à ne plus toucher nos instruments.»

Clairement dépassé par les événements, Samir Joubran croit qu'il est encore trop tôt pour reprendre le collier mais... «Bien sûr, nous restons ouverts aux propositions de concerts-bénéfices, pourvu que l'argent récolté puisse être redistribué en Palestine à des fins humanitaires.»

Checkpoint 303

Joint également en Europe, un membre de la formation électro-world Checkpoint 303, ne mâche pas ses mots. On rappellera que MoCha et ses collègues (SC Yosh et Cheikh Julio) ont tourné avec Massive Attack après que le fameux groupe anglais eut été séduit par leurs futés mélanges de musiques arabisantes et bidouillages électroniques construits autour de prises de son effectuées dans les territoires palestiniens. Checkpoint 303 avait fait une apparition remarquée au Festival du monde arabe de Montréal à l'automne 2007.

«En tant qu'artistes directement liés à la Palestine, dit MoCha, nous sommes choqués devant la catastrophe humanitaire qui a lieu aujourd'hui à Gaza mais surtout devant l'impuissance et la quasi-immobilité de la communauté internationale... La situation humanitaire à Gaza était déjà terrible avant cette guerre; le siège y rendait la vie impossible et la situation humanitaire désastreuse.

«Dans d'autres conflits, les populations civiles ont souvent le moyen de fuir les lieux de combats. À Gaza, c'est impossible. Et le Hamas est certainement en train de gagner plus de sympathisants qu'il est en train d'en perdre. Les milliers de jeunes et d'enfants qui voient périr leur famille aujourd'hui risquent bien d'être dans le Hamas demain...

«Pour nous, il est clair que le problème ne sera pas réglé sans justice, légalité internationale et respect des droits de l'homme. Or, aujourd'hui, nous sommes témoins du fonctionnement de l'ONU avec deux poids deux mesures. Quand il s'agit d'Israël, les résolutions sont d'abord évitées jusqu'à la dernière minute grâce au veto américain... Ensuite lorsque les pressions grandissent et les crimes de guerre deviennent évidents, les résolutions sont passées mais... Au final, Israël les ignore en toute impunité. C'est à se demander pourquoi l'ONU existe?» questionne MoCha.

Gaza calling

Bien avant cette offensive armée d'Israël, Checkpoint 303 avait créé la chanson Gaza Calling, non sans évoquer un classique des Clash. Demain soir à Amman, le groupe risque d'y entonner le morceau, puisqu'il pourrait possiblement partager la scène avec la formation Ramallah Underground ainsi qu'avec d'autres musiciens de Jordanie. Sinon Gaza Calling sera assurément repris par Checkpoint 303 dans plusieurs concerts de solidarité à venir, dont un prévu à Paris le 1er février.