Le naufrage du Titanic il y a cent ans a marqué les esprits mais aussi l'histoire des médias. Grâce au tout jeune télégraphe sans fil, les journalistes ont découvert la magie et les pièges du «direct», jetant les bases de l'information moderne.

Dans la nuit du 14 au 15 avril 1912, le plus luxueux et le plus grand paquebot jamais construit sombra dans l'Atlantique Nord, au large de Terre-Neuve, la coque déchirée par un iceberg.

Pendant plus d'une heure, les télégraphistes du Titanic envoyèrent des messages de détresse en morse - CQD puis SOS, les deux expressions utilisées à l'époque - qui furent captés par d'autres navires, dont certains se portèrent à la rescousse. En quelques instants, l'information atteignit les stations de radiotélégraphie à terre et se répandit à New York.

Au bureau de l'Associated Press, Charles Crane reçut ce message du Canada: «Le Titanic aurait heurté un iceberg». Immédiatement, l'agence de presse glana toutes les informations possibles auprès des stations de TSF, appela les propriétaires du navire, demanda la liste des passagers par câble à Londres. «Nous avons envoyé un "flash" et annoncé l'accident», racontera Charles Crane plus tard. En quelques secondes, la dépêche atterrit dans les rédactions.

Au New York Times, le rédacteur en chef Carr Van Anda prend connaissance de l'inimaginable: «CAP RACE, Terre-Neuve, dimanche soir, 14 avril (AP) - À 10h25 ce soir le vapeur Titanic de la White Star Line a envoyé un "CQD" à la station Marconi, signalant avoir heurté un iceberg. Le vapeur a dit qu'il requérait une assistance immédiate.» Les dépêches suivantes précisent que le transatlantique n'émet plus.

La première édition du journal est déjà à l'impression mais Van Anda «casse» la «Une». Nombre de ses concurrents «reproduisent prudemment les dépêches et écrivent que rien de grave ne peut arriver à "l'insubmersible" Titanic, mais pas Van Anda», raconte Meyer Berger dans un livre sur le New York Times. «Il a gardé la tête froide et compris que (le paquebot) était perdu.»

Pendant de longues heures, les responsables de la White Star Line minimisent le drame, mais le New York Times prend les devants. La «Une» du 15 avril annonce que «Le nouveau transatlantique Titanic heurte un iceberg/Sombre par la proue à minuit/Les femmes aux canots de sauvetage/Dernier message radio à 00h27. Silence».

«En termes de dissémination de l'information, la catastrophe du Titanic peut être considérée comme le début de ce que le gourou des médias Marshall McLuhan appelle "le village mondial", bien qu'il ait introduit cette expression en pensant aux communications par satellite des années 1960», observe Paul Heyer, professeur des communications et auteur d'un livre sur le Titanic et les médias (Titanic Century: Media, Myth and the Making of a Cultural Icon).

Les journaux du monde entier s'emparent de la catastrophe, mêlant faits et spéculations, comme ce quotidien londonien qui titre «Pas de vies perdues» dans la confusion des premiers jours.

«Ce qui me frappe, c'est le cycle de l'information, comme pour les attentats du 11 septembre 2001: la couverture du chaos de l'événement, puis les histoires des gens, puis les accusations (...) On a besoin d'un coupable», analyse Errol Somay, responsable d'une exposition sur les médias à la Bibliothèque de Virginie.

L'histoire du Titanic a jeté les bases d'«une couverture pied au plancher avec mobilisation générale» des équipes, que l'on retrouve depuis à chaque grande catastrophe, estime Roy Peter Clark, enseignant en journalisme au Poynter Institute.

Le «New York Times» se distingue alors de la vingtaine d'autres quotidien de la ville et prend «une avance sur les autres journaux américains qu'il ne perdra jamais», écrit Daniel Allen Butler dans Insubmersible: toute l'histoire du «RMS Titanic».

Le naufrage du Titanic lance par ailleurs la radio: un jeune opérateur, David Sarnoff, relaie sans interruption pendant plusieurs jours les informations transmises par la TSF. La police doit intervenir pour contenir la foule rassemblée pour l'écouter à New York. Sarnoff fera carrière dans la radio et dirigera le réseau de radio-télévision NBC.

«Il y avait des radio-amateurs qui connaissaient des journalistes et disaient "Voilà ce qui se passe". C'était vraiment une sorte de réseau social utilisant des points et des traits au lieu d'images sur écran» comme aujourd'hui, note l'historien Daniel Allen Butler.

Dans la masse d'informations circulant à la vitesse de l'électricité, certaines se perdent, sont déformées ou mélangées, comme en témoignent quelques articles du 15 avril affirmant que le Titanic est remorqué vers Halifax et tout le monde sain et sauf à bord: il s'agit en fait d'un autre navire en difficulté, selon Butler.

Déjà en 1915, les journalistes se trouvent confrontés au dilemme entre la rapidité et l'exactitude, et à l'importance des témoignages pour contrebalancer la version officielle. L'information va se développer en trois grandes étapes que l'on retrouve de nos jours dans des situations similaires: ce qui s'est passé; comment cela s'est passé selon les témoignages; pourquoi c'est arrivé.

C'est la première fois que les rédactions déploient un véritable dispositif de «guerre» pour aller chercher l'information. L'Associated Press et le New York Times installent des rédactions dans des hôtels sur le port de New York où doit accoster le Carpathia, qui a recueilli les rescapés du Titanic. Deux journalistes se faufilent sur le navire gardé par la police pour recueillir les premiers témoignages des naufragés, un troisième se trouvait justement en croisière sur le Carpathia.

Par la suite, les journaux se font largement l'écho de l'enquête du Sénat, dénonçant la rétention d'informations de la part des autorités.

Et quand le Sénat cherche à savoir si le Californian aurait pu aider le Titanic, il repère le témoignage d'un membre de l'équipage dans le Boston American. Ernest Gill confirme à la commission d'enquête que le capitaine du Californian s'est recouché alors qu'il savait que le transatlantique avait tiré des fusées de détresse. D'après lui, le Californian ne se trouvait qu'à une quinzaine de kilomètres du navire. L'anecdote alimentera le mythe du Titanic, à tout jamais lié à l'histoire des médias.